
Par ROLAND PARIS
Professeur associé d’affaires publiques et internationales
Université d’Ottawa
Cette note politique a été initialement publiée dans le numéro de mars 2014 d’Options politiques.
La mission militaire du Canada en Afghanistan prend officiellement fin en mars 2014. Elle a débuté en 2001 avec l’envoi d’un petit nombre de troupes d’opérations spéciales pour chasser les talibans et punir les militants d’Al-Qaïda à la suite des attentats du 11 septembre, et s’est développée pour inclure le déploiement d’un groupement tactique afin de sécuriser la province méridionale de Kandahar entre 2006 et 2011. À son apogée, le déploiement à Kandahar comptait plus de 3 000 soldats canadiens. Lors de mes visites à Kandahar en 2008 et 2010, j’ai vu des soldats et des fonctionnaires canadiens agir avec professionnalisme et courage dans des circonstances extraordinairement difficiles. Suggérer que leurs sacrifices ont pu être vains me semble être une bien piètre récompense.
Lors de mes visites à Kandahar en 2008 et 2010, j’ai vu des soldats et des fonctionnaires canadiens agir avec professionnalisme et courage dans des circonstances extraordinairement difficiles. Suggérer que leurs sacrifices ont pu être vains semble être une bien piètre récompense.
Pourtant, une évaluation honnête de l’héritage de la mission ne ferait que desservir les vétérans militaires et civils de l’opération afghane, ainsi que les soldats et les diplomates qui pourraient être envoyés risquer leur vie ailleurs à l’avenir. Les Canadiens ne méritent rien de moins qu’une présentation sans fard du bilan de l’opération, même si le résultat est écrit en rouge et non en noir.
Les dirigeants militaires et politiques du Canada ne semblent pas partager ce point de vue. Pendant des années, ils ont décrit l’opération canadienne en Afghanistan comme un succès, malgré les nombreuses preuves du contraire. Leur désir de présenter la mission sous un jour positif est peut-être compréhensible, mais éviter les vérités douloureuses n’est pas une manière efficace d’apprendre – et le Canada a encore beaucoup à apprendre de son expérience afghane.
Les Canadiens ne méritent rien de moins qu’une présentation sans fard du bilan de l’opération, même si le résultat est écrit en rouge et non en noir.
Une chose semble claire : la mission internationale visant à stabiliser l’Afghanistan après le renversement du régime taliban en 2001 n’a pas réussi. Les premiers espoirs d’un renouveau démocratique ont fait place à une désillusion croissante, à la corruption et à la violence. Bien que des progrès importants aient été réalisés au niveau des indicateurs de développement national – notamment le nombre d’enfants scolarisés, les droits des femmes et l’accès aux soins de santé – ces améliorations reposaient en grande partie sur la présence d’une énorme armée étrangère et sur un déluge d’aide financière, qui s’amenuise aujourd’hui.
Il n’est pas simple de déterminer ce que nos militaires ont accompli au cours de ces années. D’une part, le Canada faisait partie d’une vaste coalition de pays fournissant des forces à la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), qui a entrepris de sécuriser d’abord la capitale afghane après la mise en déroute du régime taliban, puis le reste du pays. Il est difficile d’identifier l’impact de la contribution du Canada indépendamment de cette entreprise plus vaste, et les résultats à long terme de la mission sont encore inconnus. Il se peut que l’Afghanistan s’achemine vers une plus grande stabilité dans les années à venir, ou qu’il retombe dans la guerre civile, voire qu’il redevienne un refuge pour Al-Qaïda. Ces résultats influenceront inévitablement les évaluations futures de l’héritage de la FIAS, y compris la contribution du Canada à l’opération.
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Credit photo: Owen W. Budge. Licence de Creative Commons.
Qu’est-ce que le Canada essayait de faire exactement à Kandahar ? Le plan de campagne de mai 2006, élaboré à peu près au moment où le groupement tactique canadien s’est déployé dans le sud de l’Afghanistan, constitue un guide utile (classé secret à l’origine, il a depuis été rendu public après avoir été expurgé). Ce plan indique que la mission du Canada est de « mener des opérations en Afghanistan afin de soutenir les efforts [du gouvernement afghan] visant à créer un État-nation sûr, démocratique et autonome ».
Il identifie également deux « objectifs stratégiques » pour le Canada à Kandahar : premièrement, « aider à maintenir un environnement sûr » dans sa zone d’opérations et deuxièmement, « soutenir l’établissement de structures de sécurité afghanes efficaces et durables ». Il s’agit notamment d’aider à renforcer « les capacités humaines et les processus des institutions [du gouvernement afghan] tout en étendant leur portée et leur crédibilité » et de « soutenir les activités de reconstruction ».
Ces ordres reflétaient l’opinion qui prévalait alors, à savoir que les talibans avaient été largement vaincus et que la province de Kandahar, l’ancienne patrie des talibans, était désormais relativement calme. En réalité, les talibans étaient occupés à se reconstituer au Pakistan et à réinfiltrer discrètement des combattants dans la province de Kandahar. Les Canadiens nouvellement arrivés ont rapidement appris que des combattants talibans se rassemblaient dans les districts ruraux de Panjwa’i et de Zhari, près de la ville de Kandahar. Dans le cadre de l’opération Medusa, lancée en septembre 2006, le contingent canadien a attaqué et vaincu de manière décisive ces combattants talibans, qui n’ont pas pu s’imposer dans une bataille conventionnelle face à des forces étrangères mieux équipées et appuyées par des avions.
L’opération Medusa a incontestablement été une victoire pour les Forces canadiennes, mais les gains n’ont été que tactiques. Cela n’a pas empêché le lieutenant-colonel canadien Ian Hope de déclarer lors d’une conférence de presse après les combats : « Nous les avons battus… Quatre frappes successives contre les talibans ont brisé les reins de leur insurrection ici ».
Ce que le lieutenant-colonel Hope ne savait pas à l’époque, c’est que l’opération Medusa a également été une expérience d’apprentissage cruciale pour les talibans, qui ont ensuite réorienté leur stratégie vers des attaques de type guérilla en petits groupes et des subterfuges. Les talibans reviendront sur le même territoire peu après le départ des Canadiens. Panjwa’i et Zhari, comme d’autres régions de la province, tombèrent sous l’influence croissante des talibans au cours des années qui suivirent, malgré les ratissages répétés des Canadiens pour tenter de débarrasser la région des insurgés.
Les gains tactiques, bien que souvent obtenus de haute lutte, étaient rarement durables.
Pourtant, au lieu d’adopter une approche plus prudente avant de crier victoire lors de futurs engagements, les commandants militaires canadiens suivants ont eu tendance à suivre l’exemple imprudent du lieutenant-colonel Hope en surestimant les réalisations sur le champ de bataille. À chaque nouvelle opération, des rapports faisaient état de progrès et de réalisations – insurgés tués, caches d’armes découvertes et détruites, chefs talibans capturés – et laissaient entendre que les conditions de sécurité s’amélioraient ou étaient sur le point de s’améliorer.
Ces rapports étaient presque toujours incomplets et trompeurs. Les gains tactiques, bien que souvent durement acquis, étaient rarement durables. En fait, la sécurité dans la province s’est détériorée au fil du temps, à mesure que les talibans étendaient et approfondissaient leur influence, y compris dans les régions situées à proximité immédiate de la ville de Kandahar.
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Carl Forsberg, ancien analyste de recherche à l’Institute for the Study of War à Washington, décrit la façon dont les insurgés ont adapté leur stratégie, en utilisant des embuscades, des engins explosifs improvisés (EEI) et des kamikazes pour perturber les lignes de communication de la FIAS, ce qui constitue l’un des comptes rendus de source ouverte les plus complets sur la campagne des talibans pendant cette période. Le groupement tactique canadien a été contraint d’accorder une attention croissante à sa défense et à la construction de liaisons routières plus sûres entre ses bases, qui devaient toutes être patrouillées et défendues.
Pour un contingent déjà trop petit pour établir une présence permanente dans la plupart des régions de la province, les exigences croissantes en matière de « protection des forces » ont laissé encore moins de troupes disponibles pour les opérations de nettoyage. De plus, lorsque les Canadiens s’installent dans de nouvelles zones ou reviennent dans des zones qu’ils avaient déjà nettoyées, les insurgés continuent de s’éclipser ou de se fondre dans la population locale, pour ne réapparaître qu’après le départ des étrangers.
Entre-temps, les Talibans ont mis en place des institutions parallèles de gouvernance informelle afin de gagner le soutien (ou, du moins, l’obéissance) de la population locale. Ils ont menacé et parfois assassiné des personnalités tribales locales et des fonctionnaires, éliminant ainsi les opposants qui ne pouvaient pas être cooptés. Parmi les zones qu’ils ont infiltrées figurent les districts situés immédiatement au nord de la ville de Kandahar, notamment Arghandab, où se trouvaient peu de forces canadiennes ou d’autres forces de la FIAS. En juin 2008, ils ont utilisé Arghandab comme rampe de lancement pour une attaque effrontée contre la prison de Sarpoza, à l’intérieur de la ville de Kandahar, à quelques minutes de route du quartier général de l’« équipe de reconstruction provinciale » du Canada.
Malgré de nombreuses preuves du contraire, les chefs militaires canadiens ont continué à suggérer que la situation stratégique s’améliorait.
Une fois établis dans les districts du nord, de l’ouest et du sud-ouest de la ville, les talibans étaient mieux à même « d’acheminer des armes, des combattants et des engins explosifs improvisés ou des composants d’engins explosifs improvisés dans des abris sûrs situés dans plusieurs quartiers de la ville de Kandahar », écrit M. Forsberg. Les voies d’infiltration ont également permis aux insurgés d’intimider directement les habitants de la ville et de mener une campagne d’assassinats ciblés « soigneusement choisis pour dégrader les capacités du gouvernement et exercer une influence psychologique sur la population », notamment en tuant des personnalités qui travaillaient avec ou pour le gouvernement afghan ou les forces internationales. En 2009, selon un article du Globe and Mail, les combattants talibans étaient devenus des « visiteurs nocturnes » dans la ville, créant un climat de peur aiguë pour les habitants.

Credit photo: Medias d’ISAF. Licence de Creative Commons.
Malgré de nombreuses preuves du contraire, les chefs militaires canadiens ont continué à suggérer que la situation stratégique s’améliorait. En janvier 2010, les officiers supérieurs que j’ai interrogés en Afghanistan minimisaient les rumeurs selon lesquelles la ville de Kandahar était menacée. En fait, il ne s’agissait pas seulement de rumeurs. Quelques mois plus tôt, le commandant général de la FIAS, le général Stanley McChrystal, avait rédigé un rapport classifié (qui a rapidement fait l’objet d’une fuite) à l’intention de Washington, dans lequel il indiquait que l’influence des talibans sur la ville de Kandahar et les districts avoisinants était « importante et croissante ».
À l’époque, j’ai trouvé étrange, mais pas inconcevable, que des officiers canadiens soient en désaccord avec l’évaluation du commandant de la FIAS. Il est toutefois apparu plus tard que les propres évaluations trimestrielles secrètes de la campagne de l’armée canadienne soulignaient également le degré de danger ressenti dans la ville. Un rapport de la Presse Canadienne de mars 2010, basé sur l’accès à l’une de ces évaluations, indique que « la plupart des membres des comités provinciaux ont quitté les lieux pour des raisons de sécurité ».
En outre, les responsables canadiens savaient pertinemment que la sécurité s’était détériorée dans d’autres parties de la province. Dans des documents partiellement expurgés que j’ai obtenus grâce à une demande d’accès à l’information, les documents d’information préparés pour une réunion interministérielle des sous-ministres adjoints en janvier 2010 indiquent que « dans l’ensemble de l’Afghanistan, l’insurrection semble plus forte qu’elle ne l’a jamais été depuis 2002 » et font état d’une augmentation constante du nombre d’« événements violents » dans la province de Kandahar de 2007 jusqu’à la fin de 2009.
En outre, les documents publiés montrent que les enquêtes régulièrement commandées par Ottawa auprès de la population de la province révèlent un déclin du soutien à la présence de la FIAS et un déclin marqué du soutien au gouvernement afghan entre le début de 2007 et la fin de 2009, ainsi qu’une perception croissante de l’insécurité au sein de la population.
Toutefois, en public, les commandants canadiens n’ont guère donné d’indications sur les problèmes rencontrés, continuant à présenter des rapports positifs sur les progrès accomplis. Les troupes canadiennes ont toujours semblé infliger des défaites aux talibans, nettoyer des zones des insurgés et établir de nouveaux partenariats prometteurs avec les communautés locales.
Les commandants canadiens n’ont guère laissé entrevoir de problèmes, continuant à faire état de progrès positifs.
Il y a eu des exceptions. Le brigadier-général Denis Thompson, qui a commandé la mission canadienne de mai 2008 à février 2009, a offert une évaluation inhabituellement honnête des conditions à Kandahar vers la fin de son affectation, déclarant au Globe and Mail : « Le sentiment de sécurité des gens s’est absolument effondré ». Mais la détermination à présenter une image faussement optimiste persistera jusqu’à la fin. Le dernier commandant canadien du contingent de Kandahar, le brigadier-général Dean Milner, a déclaré en octobre 2010 que les talibans étaient sur le point d’être repoussés d’une partie stratégique de la province de Kandahar.
L’endroit stratégique en question n’est autre que Panjwa’i, théâtre de l’opération Medusa en 2006. Les troupes canadiennes ont entrepris des opérations de nettoyage à Panjwa’i à de nombreuses reprises dans les années qui ont suivi, mais n’ont jamais réussi à déloger les talibans, qui sont toujours revenus, souvent plus forts qu’avant. Le fait que Milner se tienne au même endroit et, sans aucune gêne apparente, s’en tienne au même scénario témoigne de l’engagement durable des militaires canadiens à rendre compte des progrès accomplis – peu importe ce qui se passe réellement à Kandahar.
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Roland Paris, Afghanistan: What Went Wrong?
L’image positive implacable peut être simplement l’expression de l’éthique de l’armée qui sait faire. Mais il s’agit également d’une stratégie de communication délibérée visant à maintenir le soutien populaire à la guerre. « J’étais prêt à donner au public canadien une image positive de la mission, pas un mensonge, mais une image positive de la mission, afin de gagner du temps », a déclaré Ian Hope, aujourd’hui colonel, dans une interview publiée dans le numéro de janvier 2014 de la revue Légion, six ans après avoir affirmé que les troupes canadiennes avaient brisé les reins des talibans. « Si j’ai pu gagner six mois de plus, si j’ai pu gagner un an pour que quelqu’un d’autre puisse construire une institution capable de prendre en charge ce combat, alors nous avons contribué. »

Credit photo: Daren Kraus. Licence de Creative Commons.
Pourtant, l’écart entre ces affirmations de progrès et la réalité d’une insurrection grandissante s’est creusé à chaque tentative de « gagner du temps ». En mars 2010, lorsque les troupes américaines envoyées par le président Barack Obama ont commencé à arriver en grand nombre à Kandahar, une enquête menée pour l’armée américaine a révélé que parmi les neuf districts de la ville de Kandahar et de ses environs, trois étaient sous le contrôle des talibans, cinq étaient sous une influence mixte des talibans et du gouvernement afghan, et un seul était sous le contrôle du gouvernement.
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Compte tenu de tout cela, que pouvons-nous dire des résultats des efforts militaires déployés par le Canada pour sécuriser la province ? L’une des conclusions, qui semble aujourd’hui s’imposer au sein de l’armée canadienne, est que les forces canadiennes ont tenu les talibans à distance – plus précisément, qu’un nombre relativement restreint de soldats canadiens se sont distingués sur un front critique de la guerre afghane en empêchant les talibans d’avancer sur la ville de Kandahar, stratégiquement vitale. « Le fait que la ville de Kandahar ne soit pas tombée est une victoire pour le Canada », a déclaré Michel Gauthier, le général aujourd’hui à la retraite qui était responsable de toutes les forces canadiennes à l’étranger entre 2005 et 2009 (cité en juin 2011).
Ces affirmations ne sont pas dénuées de fondement. Comme indiqué plus haut, les forces canadiennes étaient très sollicitées et il est difficile d’imaginer qu’elles auraient pu faire beaucoup mieux dans les circonstances actuelles. En outre, il était certainement important d’empêcher les talibans de prendre le contrôle physique de la ville de Kandahar, en attendant l’arrivée des troupes américaines.
Il n’en demeure pas moins que les conditions de sécurité à Kandahar se sont détériorées chaque année de 2006 à 2010 et que les talibans ont semblé déjouer les plans du contingent canadien en s’infiltrant à Arghandab et dans d’autres banlieues proches de la ville de Kandahar, que les insurgés ont ensuite utilisées comme points d’appui pour mener une campagne d’intimidation et d’assassinat de plus en plus intense à l’intérieur de la ville. Fin 2009, ABC News a décrit l’incapacité des Canadiens à sécuriser – ou à développer – Kandahar comme l’un des échecs les plus flagrants de cette guerre qui dure depuis huit ans.
Le fait encore existe que les conditions de sécurité à Kandahar se sont dégradées chaque année de 2006 à 2010 et que les talibans ont semblé déjouer les plans du contingent canadien.
L’arrivée de troupes américaines supplémentaires a apporté un certain soulagement, mais les forces américaines étaient désormais confrontées aux mêmes défis que ceux auxquels les Canadiens étaient confrontés depuis des années. À la mi-2011, lorsque les soldats canadiens ont été retirés de Kandahar et chargés de former les unités militaires et policières afghanes dans d’autres régions du pays, la montée en puissance des États-Unis a atteint son apogée. Par la suite, Washington a commencé à retirer ses troupes, un processus qui se poursuit. (Washington et Kaboul doivent encore se mettre d’accord sur la question de savoir si un nombre limité de soldats américains resteront dans le pays au-delà de 2014).
Les résultats de la montée en puissance de Kandahar semblent déjà évanescents. Après plusieurs années d’aggravation constante de la violence, le nombre d’attaques des insurgés dans la province a diminué en 2012, mais des sources citées par le respecté International Crisis Group suggèrent que le nombre d’attaques est reparti à la hausse en 2013.
Ces indicateurs, ainsi que d’autres, ne sont pas encourageants. Une évaluation des services de renseignement américains datant de décembre 2013 et représentant le point de vue consensuel des 16 agences de renseignement du pays aurait prédit que les conditions en Afghanistan s’éroderaient dans les années à venir et qu’une descente rapide dans le chaos se produirait probablement si toutes les troupes occidentales devaient partir. Dans la plupart des scénarios concernant l’avenir de l’Afghanistan, les talibans sont susceptibles de renforcer leur contrôle sur les zones rurales du sud et de l’est du pays, y compris Kandahar. Les modèles préexistants de politique locale reviendront sur le devant de la scène, et les talibans ont déjà démontré leur capacité à naviguer et à exploiter ces modèles.
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Un autre argument avancé par les défenseurs de la guerre est que l’établissement de la sécurité n’était pas le seul objectif du déploiement canadien à Kandahar. À plusieurs reprises, le Premier ministre Stephen Harper a déclaré que l’objectif de cette opération était de « contribuer à sauver l’Afghanistan et son peuple qui souffre depuis longtemps de la violence et de l’oppression » et de l’aider à « réaliser sa vision d’une démocratie prospère et sûre, qui ne soit pas un refuge pour les terroristes ». Cette opération comprenait une aide au développement substantielle, qui a fait de l’Afghanistan le premier bénéficiaire de l’aide bilatérale au développement du Canada.
En 2008, le Canada a identifié trois projets de développement de premier plan au Kandahar : la remise en état du barrage Dahla et de son système d’irrigation et de canaux, la construction ou la réparation de 50 écoles et un soutien accru à l’immunisation contre la poliomyélite. Il est encore trop tôt pour porter un jugement définitif sur les résultats de ces projets. Les écoles construites par le Canada resteront-elles ouvertes après le départ des forces étrangères ou les talibans recourront-ils à l’intimidation pour les fermer (ou empêcher les filles d’aller en classe) ? Étant donné que le Canada n’a réalisé qu’une partie des travaux nécessaires à la remise en état du système de barrage de Dahla, ce projet sera-t-il achevé par les autorités américaines ou afghanes ?

Credit photo: Christine Jones. Licence de Creative Commons.
L’effort de vaccination des enfants de Kandahar contre la polio a également été incomplet, ce qui a entraîné de nouveaux cas dans la province et ailleurs en Afghanistan, alors que le sort de la campagne d’inoculation reste incertain. En février 2013, le ministre afghan de la santé publique aurait fait remarquer que l’insécurité dans les provinces méridionales de Helmand et de Kandahar empêchait « environ 40 % des enfants » de ces régions d’être vaccinés. Ces projets de développement canadiens, ainsi que d’autres, ont sans aucun doute profité à de nombreux Kandaharis. Mais la durabilité de ces gains reste incertaine.
En fin de compte, les efforts et les sacrifices consentis par les Canadiens à Kandahar n’ont guère changé les conditions sous-jacentes de ce conflit. Reconnaissant peut-être les perspectives limitées de l’opération, les dirigeants politiques canadiens ont également commencé à revoir à la baisse leur description des objectifs de la mission. En mai 2011, M. Harper avait réduit ces objectifs à empêcher l’Afghanistan de redevenir une source de terrorisme mondial. S’exprimant à Kandahar, peu avant la fin de l’effort militaire et de développement du Canada dans cette province, il a déclaré : « Il faut considérer cette mission comme un grand succès. Le monde est venu en Afghanistan parce que l’Afghanistan était devenu un endroit si terrible et si brutal qu’il représentait une menace pour le monde entier. Quels que soient les défis et les problèmes qui subsistent, l’Afghanistan n’est plus une menace pour le monde.
Mais comme l’indique clairement le plan de campagne de mai 2006, la mission du Canada à Kandahar a déjà été beaucoup plus ambitieuse. À l’instar d’autres responsables politiques occidentaux, M. Harper n’a cessé de réduire ces objectifs jusqu’à ce qu’il ne reste plus que celui d’empêcher le territoire afghan de devenir un havre de paix pour les terroristes. Cela rappelle la célèbre recommandation faite en 1966 par le sénateur américain George Aiken au président Lyndon Johnson concernant la stratégie américaine dans la guerre du Viêt Nam : déclarer la victoire et se retirer.
En fin de compte, les efforts et les sacrifices consentis par les Canadiens à Kandahar n’ont guère modifié les conditions sous-jacentes de ce conflit.
Une mesure vraiment précise du succès ou de l’échec dépend de ce qui se passera en Afghanistan après notre départ. Le gouverneur de Kandahar a été l’un des nombreux à estimer que l’autosatisfaction de M. Harper était « un peu optimiste quant à la situation de l’Afghanistan à l’heure actuelle ». En effet, certains analystes ont suggéré qu’Al-Qaïda pourrait connaître une « renaissance » dans les zones tribales largement non gouvernées le long de la frontière afghano-pakistanaise lorsque les forces occidentales quitteront l’Afghanistan, tout comme la franchise irakienne d’Al-Qaïda a récemment pris le contrôle de deux grandes villes irakiennes. Dans ce cas, même la base minimaliste que certains observateurs utilisent encore pour qualifier l’intervention en Afghanistan de succès s’évaporerait, nous laissant face à la vérité inconfortable mais inévitable que la coalition ISAF n’a pas réussi à atteindre les objectifs stratégiques de l’opération en Afghanistan et que le Canada n’a pas réussi à le faire à Kandahar.
Le Canada a dépensé des vies et des ressources extraordinaires au cours de la douzaine d’années qu’il a passées en Afghanistan, en particulier pendant la phase de la mission à Kandahar. Le pays peut être fier, à juste titre, de la façon dont la plupart de nos militaires et de nos civils se sont comportés dans ces circonstances. Mais cette expérience soulève des questions quant à la capacité de nos dirigeants politiques et militaires à parler franchement aux Canadiens d’une question extrêmement sérieuse – une question qui implique la perte de vies canadiennes, la perte de vies afghanes et la dépense de dizaines de milliards de dollars.
Il n’y a pas de honte en admettant que nous n’avons pas réussi en Afghanistan. C’est une étape nécessaire pour tirer les leçons de cette expérience. La seule véritable honte est de prétendre le contraire.