.

The Stalemate over National Security Accountability

Par Wesley Wark
Université d’Ottawa

L’attention politique et publique portée à la question de la « surveillance des surveillants » a été stimulée par le débat sur la nouvelle législation antiterroriste, le projet de loi C-51, et par les préoccupations croissantes concernant les menaces posées par le terrorisme mondial et transnational. Des questions sérieuses ont été soulevées quant à la capacité des mécanismes de responsabilité canadiens existants à surveiller correctement un secteur gouvernemental de la sécurité et du renseignement en pleine expansion, entouré de secret et doté de pouvoirs d’intrusion croissants grâce à de nouvelles capacités technologiques. Dans ce contexte, on se demande si le Canada n’est pas en train de perdre de vue l’équilibre nécessaire entre les impératifs de sécurité et la protection des droits démocratiques et de la vie privée.

Bien que cette attention à la responsabilité en matière de renseignement et de sécurité soit inhabituelle au Canada, elle représente également un moment historique où il est possible d’envisager des changements dans un système de responsabilité qui est resté statique au cours des quatorze dernières années, depuis les attaques du 11 septembre 2001.

La politique mise à part, la réalité est que le système canadien de responsabilité en matière de sécurité et de renseignement est un fromage suisse, avec de grandes lacunes.

Mais l’opportunité se heurte à une impasse politique. Face à de nombreux appels au changement qui font autorité, y compris une lettre publique très inhabituelle rédigée par quatre anciens premiers ministres canadiens, le gouvernement a tenu bon. Sa résistance au changement s’explique par le fait qu’il estime que les mécanismes existants sont adéquats et que les propositions de changement ne feraient que surcharger la communauté canadienne de la sécurité et du renseignement.

Les arguments du gouvernement sont de trois ordres. Le premier consiste à nier la capacité du Parlement à accroître utilement son contrôle sur la sécurité et le renseignement, au motif que le Parlement n’est pas suffisamment indépendant (c’est-à-dire non partisan) et n’est pas suffisamment expert en la matière. Une deuxième ligne d’argumentation repose sur l’idée que les agences de contrôle externes existantes, en particulier le Comité de surveillance de la sécurité et du renseignement, sont plus que capables de remplir le rôle de chien de garde nécessaire. Le troisième argument, aussi étrange qu’il puisse paraître dans la bouche du gouvernement actuel, est qu’un contrôle judiciaire fort permettra de préserver l’équilibre entre les impératifs de sécurité et les droits démocratiques.

Les partis d’opposition se sont emparés de la position du gouvernement, les libéraux en particulier appelant à la création d’une nouvelle capacité de contrôle parlementaire et les NPD décriant l’idée que le gouvernement se fait de l’adéquation des mécanismes de contrôle existants et faisant valoir que le contrôle judiciaire, aussi précieux soit-il, ne peut pas garantir pleinement les droits des Canadiens face à une surveillance accrue.

Les partis d’opposition ont l’impression d’être en terrain solide, une perception confirmée par certains sondages qui, tout en continuant à indiquer que la majorité des Canadiens sont favorables à la nouvelle législation antiterroriste, indiquent également des niveaux élevés de soutien au renforcement de l’obligation de rendre des comptes.

La politique mise à part, la réalité est que le système canadien de responsabilité en matière de sécurité et de renseignement est un fromage suisse, avec de grandes lacunes. Les lacunes les plus graves sont faciles à identifier :

a) un contrôle interne insuffisant au sommet, sous la forme d’une responsabilité ministérielle
b) l’absence d’examen de l’ensemble de la communauté canadienne élargie de la sécurité et du renseignement, ou même de toutes ses composantes clés
c) l’incapacité du Parlement à contrôler correctement la sécurité et le renseignement ; et
d) la faible légitimité publique des éléments du système de responsabilité existant.

Un mot sur chacune de ces lacunes. Il est difficile de mesurer la force de la responsabilité ministérielle en dehors de l’appareil gouvernemental. Mais il y a des signes inquiétants qui suggèrent que les ministres chargés des portefeuilles clés de la sécurité nationale (c’est-à-dire la sécurité publique et la défense nationale) ne sont pas suffisamment impliqués et ne connaissent pas suffisamment les opérations des agences de renseignement et de sécurité de leur portefeuille, et que l’orientation de la politique ministérielle peut être inadéquate. Ce problème est aggravé par l’absence de comité ministériel sur la sécurité nationale et de mécanisme de haut niveau pour traiter les questions d’urgence. (Au Royaume-Uni, en revanche, le COBRA réunit le premier ministre, les principaux ministres et les directeurs des agences de renseignement et de sécurité).

En l’absence de comités ministériels et de structures de gestion des urgences, la musculature de la responsabilité ministérielle peut facilement s’affaiblir. La rareté des déclarations publiques substantielles des ministres sur les menaces pesant sur la sécurité nationale et sur les opérations menées par les agences canadiennes de sécurité et de renseignement pour y faire face aggrave encore le problème.

Les mécanismes d’examen existants pour cette activité n’ont tout simplement pas suivi le rythme du changement

En examinant l’absence d’une capacité de contrôle externe suffisamment large du système canadien de sécurité et de renseignement dans son ensemble, nous devons reconnaître deux faits. Premièrement, le système canadien de sécurité et de renseignement a été radicalement transformé depuis les attaques du 11 septembre 2001. Il dispose aujourd’hui de plus de ressources, est plus compétent, plus puissant et joue un rôle plus important dans la prise de décision qu’il ne l’a jamais fait avant 2001. Deuxièmement, il est également plus intrusif et pose de plus grands défis au maintien de l’équilibre entre sécurité et droits.

Pourtant, au cours des quatorze années depuis les attentats du 11 septembre 2001, les mécanismes de contrôle de cette activité n’ont tout simplement pas suivi le rythme du changement. Ils restent en grande partie tels qu’ils ont été construits – dans le cas du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS), une construction qui remonte à 1984 et à l’adoption de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ; dans le cas de l’organe de surveillance responsable du Centre de la sécurité des télécommunications (CST), le Commissaire du CST, la date d’origine est 1996 (après la guerre froide, certes, mais toujours avant l’ère du 11 septembre). Aucune nouvelle ressource n’a été injectée dans le système ; au mieux, ces ressources ont stagné, voire diminué. Aucun nouveau mandat n’a été attribué pour permettre une couverture stratégique plus large, malgré les recommandations formulées en 2006 par le rapport de la commission d’enquête sur l’affaire Arar concernant de nouveaux mécanismes d’examen de la sécurité nationale, fruit d’une longue étude menée par le juge O’Connor. Les organes d’examen existants restent non seulement dépourvus de ressources, mais aussi cloisonnés, incapables d’aller au-delà de mandats d’étude étroits qui limitent leur vigilance – au SCRS dans le cas du CSARS, au commissaire du CST dans le cas du CST et (de manière plus marginale et moins éprouvée) à la nouvelle Commission civile d’examen et de plaintes (CCEP) dans le cas des opérations de la GRC en matière de sécurité nationale.

La liste des entités à inclure dans le régime d’échange d’informations sur la sécurité nationale proposé par le projet de loi C-51 illustre l’écart entre les organismes gouvernementaux soumis à un examen et ceux qui ne le sont pas. Cette liste comprend 17 entités, dont trois seulement (le SCRS, le CST et la GRC) font l’objet d’une forme ou d’une autre d’examen externe indépendant. La liste des entités non examinées comprend l’Agence des services frontaliers du Canada, le ministère de la Défense nationale /Forces armées canadiennes, le ministère des Affaires étrangères , du Commerce et du Développement, le ministère de la Sécurité publique et le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE). Tous ces organismes ont des mandats et des fonctions importants en matière de renseignement et de sécurité nationale.

Le Parlement est actuellement un acteur faible dans le système canadien de responsabilité en matière de sécurité nationale.

Le Parlement est actuellement un acteur faible dans le système canadien de responsabilité en matière de sécurité nationale. Il existe des commissions permanentes de la Chambre des communes (la Commission permanente de la sécurité publique et de la défense nationale) et du Sénat (la Commission sénatoriale permanente de la sécurité nationale et de la défense) dont le mandat porte sur les questions de sécurité et de renseignement. Plusieurs éléments méritent toutefois d’être soulignés en ce qui concerne le système actuel des commissions. Tout d’abord, les mandats des deux commissions existantes sont très larges (y compris la défense) et ne sont pas uniquement axés sur les questions de renseignement et de sécurité. Deuxièmement, la composition de ces commissions est choisie selon les règles habituelles de la jactance entre les partis et n’implique pas de considérations d’expertise de la part des députés et des sénateurs (ce qui peut contribuer à expliquer leur fréquente descente dans l’esprit partisan). Troisièmement, ces commissions ne disposent que d’un minimum d’expertise en matière de recherche, dépendant de l’assistance du personnel de la Bibliothèque du Parlement. Leurs budgets sont limités. Et comme si cette liste n’était pas assez longue, le plus gros problème auquel elles sont confrontées est que les députés et les sénateurs qui siègent dans ces commissions n’ont pas d’habilitation de sécurité et n’ont donc pas accès aux briefings et aux documents classifiés. Ces commissions cherchent à comprendre le monde secret sans avoir accès au monde secret.

Comme on l’a souvent souligné, le Canada se distingue de la pratique de nombre de ses proches alliés et partenaires (en particulier dans la communauté du renseignement des Cinq Yeux) par le fait qu’il ne dispose pas d’un organe parlementaire spécialisé bénéficiant d’une habilitation de sécurité et chargé de contrôler les agences de sécurité et de renseignement. Parmi les organes législatifs de type Westminster, le Royaume-Uni dispose d’une commission du renseignement et de la sécurité (Intelligence and Security Committee), dont le mandat a été récemment élargi, l’Australie d’une commission mixte du renseignement et de la sécurité (Joint Committee on Intelligence and Security), et la toute petite Nouvelle-Zélande d’une commission parlementaire du renseignement et de la sécurité (Parliamentary Intelligence and Security Committee), qui fait figure d’exception.

Il existe de nombreux modèles parmi lesquels choisir et des meilleures pratiques à adapter aux besoins canadiens, mais nous n’avons rien fait de tout cela. L’effort le plus récent pour établir un véritable contrôle parlementaire de la sécurité et du renseignement a été le projet de loi d’initiative parlementaire C-622, présenté par Joyce Murray, porte-parole libérale en matière de défense. Il s’agissait d’un projet à deux volets, visant à améliorer la responsabilité et la transparence du CST, ainsi qu’à créer une commission parlementaire chargée d’examiner les questions de renseignement et de sécurité de manière plus générale.

Dans le projet de loi d’initiative parlementaire de Mme Murray, le mandat du comité de parlementaires proposé était triple :

a) examiner le cadre législatif, réglementaire, politique et administratif du renseignement et de la sécurité nationale au Canada
b) examiner les activités des ministères et organismes fédéraux en matière de renseignement et de sécurité nationale ; et
c) rendre compte publiquement de ses activités, de ses conclusions et de ses recommandations.

Cela aurait permis ce que Craig Forcese et Kent Roach décrivent à juste titre comme un examen « au sommet », du type de ceux qui manquent non seulement au Parlement, mais aussi à tous les mécanismes d’examen externe du système de responsabilité actuel. Cependant, le projet de loi C-622 a été rejeté par la majorité gouvernementale en deuxième lecture à la Chambre en septembre 2014.

Il est vrai qu’il ne serait pas facile de mettre en place une capacité d’examen parlementaire appropriée, même si elle était établie par la législation. La composition d’un tel comité devrait être soigneusement étudiée et le Parlement devrait relever le défi de mettre de côté l’esprit partisan, comme tout comité de ce type doit le faire. Les rapports de la commission seraient inévitablement entravés par les contraintes du secret officiel, et des ressources spéciales en termes de personnel et de budgets bénéficiant d’une habilitation de sécurité seraient nécessaires.

La légitimité publique est une question importante, souvent négligée dans le débat actuel sur le renforcement de la responsabilité.

Mais devons-nous craindre qu’un tel comité ne disparaisse tout simplement dans son propre trou de lapin du secret, ce qui conduirait, comme l’a dit Philippe Lagasse, à ce qu’« un groupe restreint de parlementaires en sache plus sur les affaires de sécurité nationale, mais que le public en sache moins, et s’en préoccupe peut-être moins » ? La réponse à cette question est, je pense, non, compte tenu à la fois de l’expérience d’autres organes parlementaires ou législatifs établis parmi nos proches alliés, et de l’intérêt personnel des parlementaires et du Parlement lui-même.

La légitimité publique est une question importante, souvent négligée dans le débat actuel sur le renforcement de la responsabilité. Cette légitimité publique découle de la connaissance et de la confiance, mais les organismes de contrôle existants n’ont pas réussi à générer beaucoup de connaissances publiques ni à gagner la confiance nécessaire du public. Des organismes tels que le CSARS et le commissaire du CST publient des rapports annuels publics au Parlement, souvent déposés pendant les vacances parlementaires. Ces rapports annuels ne suscitent qu’une attention limitée (ou une absence totale d’attention) de la part des parlementaires et ne font l’objet que d’une couverture médiatique éphémère.

On pourrait supposer que la faute en revient à un manque d’intérêt de la part du public ou à l’absence d’une histoire sensationnelle. Mais en réalité, je pense que la faute réside dans la nature des rapports des agences d’évaluation elles-mêmes. Elles ne savent pas quel est leur véritable public : s’agit-il des agences qu’elles sont chargées d’examiner (dans l’espoir que leurs recommandations seront traitées avec respect) ou du public ? Ils n’ont pas trouvé de stratégies de communication efficaces, enchevêtrant leurs rapports dans un langage euphémique et obscur (prétendument motivé par les contraintes du secret officiel). Ils racontent une histoire discontinue, chaque rapport annuel étant une nouvelle naissance lancée sans le contexte des tendances ou des questions passées.

Une faible légitimité publique entrave gravement la capacité d’un organe d’examen à parler d’une voix autorisée, en particulier dans les moments de crise de la sécurité nationale. Le problème s’est posé pour le commissaire du CST lorsque son bureau a été mis en avant par le gouvernement Harper pour tenter d’expliquer que le CST restait engagé dans une surveillance tout à fait légale au milieu d’une avalanche de fuites d’Edward Snowden (dont certaines concernaient le Canada) qui semblaient raconter une histoire très différente. En ce qui concerne le CSARS, le public canadien est plus susceptible de savoir qu’il a été dirigé par une personne nommée par le gouvernement Harper (Arthur Porter, qui croupit aujourd’hui dans une prison panaméenne) que de connaître la teneur des rapports qu’il a rédigés ces dernières années.

Aussi facile qu’il puisse être d’identifier les lacunes les plus graves en matière de responsabilité au Canada, il n’en reste pas moins qu’aucune percée ne peut être attendue compte tenu de l’impasse politique générée par le débat partisan sur le projet de loi C-51. Cela signifie-t-il que nous allons manquer une occasion historique de changement, de redresser les capacités de reddition de comptes et de redonner au système canadien l’éclat dont il jouissait autrefois en tant que l’une des principales expériences démocratiques en matière de reddition de comptes dans le domaine du renseignement et de la sécurité ?

La réponse, pleine d’espoir, pourrait être : pas nécessairement. Si nous ne pouvons pas espérer un changement ou une amélioration imminente, nous pouvons au moins nous engager dans une étude continue et ciblée des problèmes. Parfois, le réflexe de repousser une question complexe au-delà de l’horizon politique (à court terme) peut s’avérer plus que cynique. Dans le cas des changements apportés à la responsabilité démocratique en matière de sécurité et de renseignement, ce réflexe peut être utile. La nouvelle « Rome » de la responsabilité ne se construira pas en un jour.

Une étude plus approfondie pourrait combler le fossé entre la nécessité d’un changement et l’impasse politique actuelle.

Qu’est-ce qu’une étude utile ? Voici deux suggestions. La première consiste en un examen parlementaire spécifique de la question, mené par l’une ou l’autre Chambre ou par le Sénat, ou les deux à la fois. L’autre est la création d’un organisme externe indépendant composé d’experts chargés d’étudier la responsabilité. Ces deux initiatives auraient pour but de recueillir et d’analyser des données sur les lacunes en matière de responsabilité au Canada et sur les meilleures pratiques de nos proches partenaires. Elles réfléchiront toutes deux aux exigences du public en matière de responsabilité. Enfin, elles seraient toutes deux chargées de proposer, dans un délai raisonnable, des recommandations concrètes de changement qui seraient présentées sous forme de rapports publics au Premier ministre et au Parlement.

Une étude plus approfondie est nécessaire, serait bénéfique et tirerait parti de l’attention du public. Une étude plus approfondie pourrait combler le fossé entre la nécessité d’un changement et l’impasse politique actuelle. Même si notre système politique choisissait de considérer la poursuite de l’étude comme une forme de report du problème à l’horizon, ce ne serait pas grave non plus. Les problèmes ne disparaissent pas, et je parie qu’ils resteront au centre des préoccupations lorsque les principaux partis se positionneront pour les élections d’automne, au cours desquelles les questions de sécurité nationale seront plus importantes qu’elles ne l’ont jamais été de mémoire récente.

 Wesley Wark est professeur invité à l’École Supérieure des Affaires Publiques et Internationales (ÉSAPI) à l’Université d’Ottawa.