Le Canada s’est engagé à dépenser l’équivalent de 2% de son produit intérieur brut (PIB) en dépenses militaires d’ici 2032. Cette date d’échéance est toutefois hautement spéculative puisqu’elle fut énoncée à la hâte en juillet dernier, en marge du sommet de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) à Washington, sans plan précis pour l’atteindre.
Le Canada s’est engagé à dépenser l’équivalent de 2% de son produit intérieur brut (PIB) en dépenses militaires d’ici 2032. Cette date d’échéance est toutefois hautement spéculative puisqu’elle fut énoncée à la hâte en juillet dernier, en marge du sommet de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) à Washington, sans plan précis pour l’atteindre. La nouvelle politique de défense du Canada, publiée à peine trois mois plus tôt, ne prévoyait d’ailleurs aucunement atteindre cette cible. Alors que la menace de tarifs douaniers proférée par le président élu, Donald Trump, fait craindre le pire, le Canada se retrouve dans la fâcheuse situation où il manque de transparence sur la façon dont il entend respecter son engagement international et faire barrage à la critique de Trump à l’effet que ce sont les contribuables américains qui doivent éponger les coûts de la défense du Canada.
Pourtant, le simple fait de répondre adéquatement aux besoins militaires du Canada permettrait d’honorer l’ambition du 2%. En devançant l’échéance à 2029, plutôt que 2032, et en proposant un plan précis, le Canada pourrait se prémunir contre les critiques du nouveau président, reconnu pour son caractère intempestif. Après tout, Trump pourrait se vanter d’avoir fait dépenser le Canada avant la fin de son second mandat à la tête des États-Unis.
Selon les estimations du Directeur parlementaire du budget, le Canada devrait augmenter ses dépenses militaires de 87 milliards d’ici 2029-2030 afin d’atteindre et de maintenir la cible de 2% du PIB, soit environ 14,5 milliards par année. Est-ce possible de dépenser une telle somme ? Comment cela pourrait-il être concrétisé ? À défaut d’une plus grande transparence du gouvernement canadien, nous proposons quatre options à considérer afin d’honorer l’engagement du pays.
Premièrement, le Canada pourrait accroître la taille des Forces armées canadiennes (FAC) et bonifier les salaires. Il manque environ 14 500 militaires supplémentaires dans les FAC afin de mettre en œuvre la politique de défense annoncée en avril 2024, soit une augmentation de 14% des effectifs présentement autorisés. Aux coûts actuellement prévus, une telle augmentation de la taille des forces armées coûterait en moyenne 7,9 milliards par année et absorberait la moitié de la hausse des dépenses nécessaires à l’atteinte de la cible du 2%. À ceci pourrait s’ajouter une bonification salariale, sachant que les militaires canadiens ont reçu, depuis 2021, une moyenne de 2,9% d’augmentation salariale annuellement, soit bien en deçà de la hausse des prix à la consommation. Une telle augmentation des salaires pourrait d’ailleurs stimuler le processus de recrutement ainsi que la rétention de troupes.
Deuxièmement, le Canada pourrait augmenter les budgets des projets d’acquisitions militaires en cours mais prévus en quantité insuffisante. Par exemple, le Canada a fait l’acquisition de 88 avions de chasse F-35, soit 50 de moins que les 138 F-18 acquis en 1982. L’Italie, qui a pourtant une géographie beaucoup plus petite que le Canada, a décidé d’accroître à 115 sa commande de F-35, malgré des besoins opérationnels estimés à 131 appareils. Les 16 premiers F-35 canadiens ayant déjà été soustraits du budget 2024 malgré la livraison des quatre premiers avions au plus tôt en 2026, le Canada pourrait accroître sa commande et l’imputer à ses budgets d’ici 2029.
Similairement, l’acquisition de seulement 11 drones SkyGuardian apparaît bien peu en regard des besoins du Canada, avec un territoire massif à surveiller. Les premiers SkyGuardian étant prévus en 2028, il serait possible d’accroître la commande à temps d’ici la fin de la décennie. À ceci s’ajoutent les quelques 49 projets d’acquisitions pour l’armée de terre dont le budget est insuffisant pour les besoins opérationnels du Canada. Par exemple, le Canada prévoit l’acquisition de systèmes de missiles à longue portée, tels que les 39 HIMARS que les États-Unis ont fourni à l’Ukraine depuis 2022. Le gouvernement pourrait s’engager à augmenter le budget de chaque projet qui manque de fonds pour atteindre le niveau de capacité désiré.
Troisièmement, le Canada pourrait budgéter d’ici 2029 les nombreux équipements militaires présentement « à l’étude ». Parmi celles-ci se trouvent l’acquisition de sous-marins, de systèmes de défense aérienne et antimissile, de chars d’assauts, d’unités d’artillerie, ainsi que de drones de surveillance et de frappes. Il est difficile d’évaluer le coût de ses acquisitions puisque le gouvernement canadien n’a fourni que très peu de détails sur ses besoins opérationnels. Il faut également prendre en considération les très longs délais d’acquisition militaire : le premier de 8-12 sous-marins n’est attendu qu’en 2035, et ce n’est qu’en février 2024, soit 12 ans après s’être départi de son dernier système de défense aérienne, que le Canada a jugé « urgent » le besoin d’en acquérir de nouveaux, sans toutefois fixer de date d’acquisition. Il n’en demeure pas moins que l’option d’accélérer d’ici la fin de la décennie ne serait-ce que certaines de ces acquisitions encore au stade de l’étude permettrait de combler des besoins évidents. La priorité devrait être accordée au projet le plus coûteux et le plus saillant, soit l’acquisition de sous-marins qui pourrait atteindre les 100 milliards de dollars.
Enfin, une quatrième option consisterait à déclarer des besoins opérationnels urgents pour entamer un processus d’acquisition accéléré de capacités jugées essentielles pour les obligations internationales du pays. En effet, le processus de planification de défense de l’OTAN établit, pour chaque membre, des cibles capacitaires de manière à assurer un partage du fardeau équitable entre les alliés. Si certains pays rendent publics ces cibles, ce n’est pas le cas du Canada. L’on sait cependant que les nouveaux plans de défense de l’OTAN requièrent la création de 35 à 50 nouvelles brigades, consistant entre 3 000 et 7 000 militaires chacune, et de quintupler le nombre de systèmes de défense aérienne. Le Canada pourrait ainsi rendre public les cibles de l’OTAN et déclencher un processus de dotation d’urgence des capacités jugées prioritaires pour le pays.
Peu importe le choix parmi ces options, l’important est d’élaborer un plan crédible d’augmentation des dépenses militaires du Canada dans un horizon de cinq ans. Non seulement cela permettrait-il au gouvernement canadien de démontrer qu’il prend la défense du pays au sérieux, mais, surtout, cela permettrait d’établir les paramètres du réveil militaire du Canada avant qu’il ne soit trop tard. Attendre que les soldats canadiens soient déployés sur le champ de bataille et périssent pour cause de négligence doit être évité à tout prix.
Ce blog fait partie de la série « Le flanc oriental de l’OTAN ». Tous les blogs sont disponibles ici.
Pour en savoir plus sur la conférence Le flanc oriental de l’OTAN : Défis et implications dans le contexte de la guerre en Ukraine.