Femmes et gestion des crises en période de conflits armées : enjeux de l’implication des femmes dans la promotion de la paix et la sécurité au Cameroun

Femmes et gestion des crises en période de conflits armées : enjeux de l’implication des femmes dans la promotion de la paix et la sécurité au Cameroun
Cameroun - Projet « Gender Road » d'ONU Femmes, 2018. Photo par UN Women sur flickr.

Depuis plusieurs années, le Cameroun fait face à de nombreux conflits armés qui menacent la paix et créent un climat d’insécurité sur le territoire. Pour venir à bout de ces crises qui déstabilisent le pays de façon générale, l’Etat et ses partenaires ont entrepris des actions dans le but de rétablir la paix et la


Depuis plusieurs années, le Cameroun fait face à de nombreux conflits armés qui menacent la paix et créent un climat d’insécurité sur le territoire. Pour venir à bout de ces crises qui déstabilisent le pays de façon générale, l’Etat et ses partenaires ont entrepris des actions dans le but de rétablir la paix et la sécurité des citoyens. Tenant compte de la Résolution 1325 et des engagements politiques, la prise en compte du genre dans la mise en œuvre de ces actions de consolidation de la paix au Cameroun demeure problématique.


Les conflits armés dans le grand Nord, à l’Est ou encore dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun ont entrainé une instabilité avec des conséquences socioéconomiques importantes. Il s’agit notamment des cas d’enlèvement des filles et des femmes pour servir d’esclaves sexuelles. Elles sont également utilisées comme armes ou bombes humaines.  Elles sont violées, kidnappées, mariées de forces et puis utilisées comme kamikazes dans les opérations terroristes (International Crisis Group, 2022).  Les affrontements ont entraîné le déplacement forcé de milliers de personnes vers les autres régions du pays ainsi que de nombreux réfugiés installés au Nigéria ; les femmes et les enfants représentent plus de 60% de ces personnes. Par ailleurs, des données montrent également que dans le conflit contre Boko Haram tout comme celui dans le Nord-Ouest et Sud-Ouest, plusieurs centaines de femmes et filles sont les adeptes et travaillent pour ces groupes. Certaines filles servent d’appâts pour le recrutement des jeunes et d’autres sont recrutées comme main d’œuvre servile. 

Face à ces vagues de violences, l’Etat du Cameroun a entrepris de nombreuses actions visant à promouvoir le genre dans le processus de consolidation de la paix à savoir l’adoption en 2017 d’un Plan d’Action National de mise en œuvre de la Résolution 1325, révisé 2023 ; la mise sur pied en 2018 du Comité National de Désarmement, de Démobilisation et de Réintégration (CNDDR) et sa stratégie genre visant à assurer une prise en compte des besoins pratiques et intérêts stratégiques des femmes et hommes et un accès accru des femmes, des filles et des familles associées aux groupes armés dans les opérations et services de désarmement ; ou encore la tenue en octobre 2019 du « Grand Dialogue National » entres autres. Si ces actions ont globalement abouti à de nombreuses résolutions, il faut dire qu’en termes d’inclusion et d’application des principes des résolutions 1325 et connexes, on a pu relever de nombreux manquements.

S’il a été démontré que les femmes, les jeunes et les enfants sont les premières victimes des conflits armés (Estelle Kouokam Magne, 2021), leur contribution n’est pas significative dans le processus de construction de paix au Cameroun. Il est à noter de prime abord un manque de coordination dans le déploiement de la part des divers acteurs impliqués dans le processus.  Aussi, lors de la tenue du grand dialogue national, des manquements ont été observés quant à la prise en compte du genre sur le fond comme sur la forme. D’une part, le dialogue en lui-même a en grande partie ignoré les questions de genre dans les thématiques abordées, et a débouché sur 39 recommandations principales, dont aucune n’aborde directement les craintes spécifiques des femmes dans un avenir post-conflit. D’autre part, uniquement deux commissions du dialogue sur huit ont été dirigées par des femmes et celles-ci étaient toutes deux affiliées au gouvernement (exclusion ainsi faite des femmes de la société civile et autres catégories sociopolitiques). De même, 18 personnes uniquement sur les 119 membres habilités à la facilitation du dialogue national étaient des femmes. Aussi, 600 délégués ont participé à ce forum national, avec un pourcentage de participation des femmes de 15,12%.

En plus, tandis que le Ministère de la Promotion de la Femme et la Famille est officiellement responsable de la mise en œuvre du programme Femmes, paix et sécurité (FPS) au Cameroun, et bien qu’il ait initié et coordonné l’élaboration de la stratégie genre du CNDDR, des représentants de ce Ministère ne font pas partie du Conseil de direction du Comité national de DDR qui comprend des membres de quatorze ministères et d’une agence gouvernementale. Aussi, si les Centres Régionaux du CNDDR accueillent environ 14% des résidents femmes, il faut se rendre compte qu’aucun de ces établissements ne prévoit de dispositions particulières pour les besoins spécifiques des femmes. Il s’observe ainsi dans le processus de résolution des conflits comme dans le cercle de prise de décisions politiques au Cameroun, une construction de stratégies de mise à l’écart des femmes ; ce qui accentue l’état de fragilité du pays en termes de lutte contre l’insécurité. 

De ce fait, le rôle et la contribution des femmes dans les processus de paix restent très souvent invisibles au niveau institutionnel. Celles-ci vont davantage jouer un rôle actif, direct ou indirect dans les conflits et les luttes armées à travers des initiatives organisées et non institutionnelles.  Elles s’engagent à investir les coulisses de la pacification en s’appuyant sur des pratiques endogènes profondément enracinées dans leur culture et leur histoire. 

Il ressort enfin que dans un Cameroun essentiellement patriarcal et « phallocrate », de nombreux stigmates, normes et autres stéréotypes de genre maintiennent la gente féminine en dehors du cadre de réflexion et de construction de la paix, ce qui contribuent dans un environnement de conflits armés, à la pérennisation de la fragilité de l’Etat et compromettent ainsi l’avancée du pays vers l’objectif relatif à l’élimination des inégalités et disparités de genre ; à la construction d’une société inclusive et en paix.

Articles liés


Le blogue du CÉPI est écrit par des spécialistes en la matière.

Les blogs CIPS sont protégés par la licence Creative Commons: Attribution – Pas de Modification 4.0 International (CC BY-ND 4.0).


[custom-twitter-feeds]

Femmes et gestion des crises en période de conflits armées : enjeux de l’implication des femmes dans la promotion de la paix et la sécurité au Cameroun

Femmes et gestion des crises en période de conflits armées : enjeux de l’implication des femmes dans la promotion de la paix et la sécurité au Cameroun
Cameroun - Projet « Gender Road » d'ONU Femmes, 2018. Photo par UN Women sur flickr.

Depuis plusieurs années, le Cameroun fait face à de nombreux conflits armés qui menacent la paix et créent un climat d’insécurité sur le territoire. Pour venir à bout de ces crises qui déstabilisent le pays de façon générale, l’Etat et ses partenaires ont entrepris des actions dans le but de rétablir la paix et la


Depuis plusieurs années, le Cameroun fait face à de nombreux conflits armés qui menacent la paix et créent un climat d’insécurité sur le territoire. Pour venir à bout de ces crises qui déstabilisent le pays de façon générale, l’Etat et ses partenaires ont entrepris des actions dans le but de rétablir la paix et la sécurité des citoyens. Tenant compte de la Résolution 1325 et des engagements politiques, la prise en compte du genre dans la mise en œuvre de ces actions de consolidation de la paix au Cameroun demeure problématique.


Les conflits armés dans le grand Nord, à l’Est ou encore dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun ont entrainé une instabilité avec des conséquences socioéconomiques importantes. Il s’agit notamment des cas d’enlèvement des filles et des femmes pour servir d’esclaves sexuelles. Elles sont également utilisées comme armes ou bombes humaines.  Elles sont violées, kidnappées, mariées de forces et puis utilisées comme kamikazes dans les opérations terroristes (International Crisis Group, 2022).  Les affrontements ont entraîné le déplacement forcé de milliers de personnes vers les autres régions du pays ainsi que de nombreux réfugiés installés au Nigéria ; les femmes et les enfants représentent plus de 60% de ces personnes. Par ailleurs, des données montrent également que dans le conflit contre Boko Haram tout comme celui dans le Nord-Ouest et Sud-Ouest, plusieurs centaines de femmes et filles sont les adeptes et travaillent pour ces groupes. Certaines filles servent d’appâts pour le recrutement des jeunes et d’autres sont recrutées comme main d’œuvre servile. 

Face à ces vagues de violences, l’Etat du Cameroun a entrepris de nombreuses actions visant à promouvoir le genre dans le processus de consolidation de la paix à savoir l’adoption en 2017 d’un Plan d’Action National de mise en œuvre de la Résolution 1325, révisé 2023 ; la mise sur pied en 2018 du Comité National de Désarmement, de Démobilisation et de Réintégration (CNDDR) et sa stratégie genre visant à assurer une prise en compte des besoins pratiques et intérêts stratégiques des femmes et hommes et un accès accru des femmes, des filles et des familles associées aux groupes armés dans les opérations et services de désarmement ; ou encore la tenue en octobre 2019 du « Grand Dialogue National » entres autres. Si ces actions ont globalement abouti à de nombreuses résolutions, il faut dire qu’en termes d’inclusion et d’application des principes des résolutions 1325 et connexes, on a pu relever de nombreux manquements.

S’il a été démontré que les femmes, les jeunes et les enfants sont les premières victimes des conflits armés (Estelle Kouokam Magne, 2021), leur contribution n’est pas significative dans le processus de construction de paix au Cameroun. Il est à noter de prime abord un manque de coordination dans le déploiement de la part des divers acteurs impliqués dans le processus.  Aussi, lors de la tenue du grand dialogue national, des manquements ont été observés quant à la prise en compte du genre sur le fond comme sur la forme. D’une part, le dialogue en lui-même a en grande partie ignoré les questions de genre dans les thématiques abordées, et a débouché sur 39 recommandations principales, dont aucune n’aborde directement les craintes spécifiques des femmes dans un avenir post-conflit. D’autre part, uniquement deux commissions du dialogue sur huit ont été dirigées par des femmes et celles-ci étaient toutes deux affiliées au gouvernement (exclusion ainsi faite des femmes de la société civile et autres catégories sociopolitiques). De même, 18 personnes uniquement sur les 119 membres habilités à la facilitation du dialogue national étaient des femmes. Aussi, 600 délégués ont participé à ce forum national, avec un pourcentage de participation des femmes de 15,12%.

En plus, tandis que le Ministère de la Promotion de la Femme et la Famille est officiellement responsable de la mise en œuvre du programme Femmes, paix et sécurité (FPS) au Cameroun, et bien qu’il ait initié et coordonné l’élaboration de la stratégie genre du CNDDR, des représentants de ce Ministère ne font pas partie du Conseil de direction du Comité national de DDR qui comprend des membres de quatorze ministères et d’une agence gouvernementale. Aussi, si les Centres Régionaux du CNDDR accueillent environ 14% des résidents femmes, il faut se rendre compte qu’aucun de ces établissements ne prévoit de dispositions particulières pour les besoins spécifiques des femmes. Il s’observe ainsi dans le processus de résolution des conflits comme dans le cercle de prise de décisions politiques au Cameroun, une construction de stratégies de mise à l’écart des femmes ; ce qui accentue l’état de fragilité du pays en termes de lutte contre l’insécurité. 

De ce fait, le rôle et la contribution des femmes dans les processus de paix restent très souvent invisibles au niveau institutionnel. Celles-ci vont davantage jouer un rôle actif, direct ou indirect dans les conflits et les luttes armées à travers des initiatives organisées et non institutionnelles.  Elles s’engagent à investir les coulisses de la pacification en s’appuyant sur des pratiques endogènes profondément enracinées dans leur culture et leur histoire. 

Il ressort enfin que dans un Cameroun essentiellement patriarcal et « phallocrate », de nombreux stigmates, normes et autres stéréotypes de genre maintiennent la gente féminine en dehors du cadre de réflexion et de construction de la paix, ce qui contribuent dans un environnement de conflits armés, à la pérennisation de la fragilité de l’Etat et compromettent ainsi l’avancée du pays vers l’objectif relatif à l’élimination des inégalités et disparités de genre ; à la construction d’une société inclusive et en paix.

Articles liés


Le blogue du CÉPI est écrit par des spécialistes en la matière.

 

Les blogs CIPS sont protégés par la licence Creative Commons: Attribution – Pas de Modification 4.0 International (CC BY-ND 4.0).


[custom-twitter-feeds]