Les propos inquiétants de Stephen Harper sur l’Iran

Le premier ministre Stephen Harper prépare-t-il le public canadien à un éventuel conflit avec l’Iran? Dans deux entrevues récentes (ici et ici), il a « sonné l’alarme » à propos de la possibilité d’un Iran doté d’un arsenal nucléaire qui, selon lui, constitue « la menace la plus sérieuse au monde pour la paix internationale»

Le premier ministre Stephen Harper prépare-t-il le public canadien à un éventuel conflit avec l’Iran? Dans deux entrevues récentes (ici et ici), il a « sonné l’alarme » à propos de la possibilité d’un Iran doté d’un arsenal nucléaire qui, selon lui, constitue « la menace la plus sérieuse au monde pour la paix internationale» [Traduction].

M. Harper a raison de se soucier de la possibilité de l’acquisition par Téhéran d’armes nucléaires. Toute prolifération d’armes de destruction massive est une mauvaise nouvelle, et il y a peu de régimes plus odieux sur la planète que celui qui règne sur l’Iran depuis la Révolution islamique de 1979.

Mais est-il justifié d’affirmer que l’Iran n’aurait « aucune hésitation à utiliser les armes nucléaires s’il y voit la possibilité de concrétiser ses visées religieuses ou politiques » [Traduction]?

C’est là un élément important. Si M. Harper a raison, toutes les mesures, y compris une offensive militaire contre l’Iran, seraient justifiées, ou peut-être même requises, pour empêcher ce pays de constituer un pareil arsenal.

Le problème, toutefois, est que l’évaluation du premier ministre contredit nettement ce que nous savons à propos du comportement du régime iranien. En dépit de leur discours jihadiste révolutionnaire, les mullahs qui règnent sur l’Iran ont constamment cherché à atteindre un but avant tout autre: demeurer au pouvoir.

Oui, les dirigeants de l’Iran ont produit les énoncés les plus répugnants et les plus menaçants au sujet d’Israël, et c’est un secret de polichinelle que le fait qu’ils appuient les organisations faisant usage de tactiques terroristes, notamment le Hezbollah et le Hamas. Mais le régime n’indique d’aucune façon qu’il est lui-même suicidaire, ce que M. Harper laisse entendre lorsqu’il affirme que les dirigeants du pays « n’hésiteraient pas » [Traduction] à recourir aux armes nucléaires. La plupart des experts qui observent l’Iran de près réfutent l’hypothèse selon laquelle ses dirigeants iraient ainsi jusqu’à provoquer leur propre destruction assurée.

D’un autre côté, ceci ne devrait justifier d’aucune façon la complaisance face au programme nucléaire iranien. Il est naturellement inquiétant que l’Iran semble s’affairer à mettre au point de pareilles armes, ou, à tout le moins, à acquérir la capacité de les concevoir. Bien que l’Agence internationale de l’énergie atomique ne possède toujours pas la preuve définitive de l’existence d’un programme d’armes nucléaires, il existe plus que suffisamment de preuves circonstancielles qui justifient la position agressive de resserrement diplomatique et économique que le Canada et les autres pays occidentaux imposent à l’Iran – à condition qu’il soit également combiné à une diplomatie créative qui confère à l’Iran une porte de sortie, choisirait-il de l’emprunter.

La question à se poser, cependant, est jusqu’où nous sommes prêts à aller pour freiner un tel programme, si (et quand) des preuves tangibles émergeaient à l’effet que l’Iran s’apprête à mettre au point un dispositif nucléaire fonctionnel et praticable. Si des perceptions erronées à propos du comportement iranien éclairent notre réponse à cette question – si nous succombons aux peurs fondées sur des portraits exagérés plutôt que des faits – nous risquons de commettre des erreurs stratégiques terribles.

Certains diraient : Comment pouvons-nous nous permettre d’attendre plus longtemps avant de considérer une action militaire préventive pour écarter cette menace imminente? Nous avons entendu des versions de cet argument de la bouche de candidats aux primaires républicaines et de certains commentateurs américains conservateurs, notamment.

Mais comment s’articulerait exactement une telle intervention? Des bombardements peuvent-ils vraiment, à eux seuls, stopper, ou même retarder significativement les efforts nucléaires de l’Iran? Une attaque limitée ne servirait-elle pas qu’à raffermir le pouvoir des dirigeants iraniens à l’échelle nationale? Ne contribuerait-elle pas aussi à renforcer l’engagement du régime à acquérir des armes nucléaires comme outils dissuasif contre toute attaque éventuelle? Et si une intervention étrangère avait pour effet d’enflammer toute la région? Et si elle résultait en un enlisement dans une autre ruinante guerre d’occupation?

Rappelons-nous également que l’ex-président américain George W. Bush, en réponse aux préoccupations à propos de la justification d’une attaque contre l’Iraq, usait de certains des mêmes arguments que nous entendons aujourd’hui. « Compte tenu de l’évident péril auquel nous sommes confrontés », a-t-il affirmé en 2002, quelques mois à peine avant l’invasion de l’Iraq par les États-Unis, « nous ne pouvons attendre la preuve ultime, la fumée du coup de feu qui pourrait se montrer sous la forme d’un champignon atomique. » [Traduction] Malheureusement, ce message effroyable et pourtant non fondé, qui est demeuré largement incontesté par certains des organismes médiatiques les plus réputés du pays, a trouvé raison auprès d’un grand nombre d’Américains.

Il devrait aller de soi que les leaders politiques ont besoin d’être très prudents lorsqu’ils évoquent des visions cauchemardesques de catastrophe nucléaire. Peu d’outils rhétoriques sont plus percutants, ou risquent plus de soulever les passions populaires, que des allusions à une éventuelle destruction massive. Voilà pourquoi nous devons soumettre ces affirmations à un examen très pointu.

M. Harper reconnaît qu’il craint l’Iran. Moi aussi – tout comme plusieurs autres. Mais en cette période cruciale, alors que les tensions grimpent entre l’Iran et l’occident, notre premier ministre doit garder la tête froide. Il doit se distancer du dangereux gouffre de la rhétorique.

Ce billet a d’abord paru en anglais dans le blogue du Conseil International du Canada : opencanada.org.

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Le blogue du CÉPI est écrit par des spécialistes en la matière.

Les blogs CIPS sont protégés par la licence Creative Commons: Attribution – Pas de Modification 4.0 International (CC BY-ND 4.0).


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Les propos inquiétants de Stephen Harper sur l’Iran

Le premier ministre Stephen Harper prépare-t-il le public canadien à un éventuel conflit avec l’Iran? Dans deux entrevues récentes (ici et ici), il a « sonné l’alarme » à propos de la possibilité d’un Iran doté d’un arsenal nucléaire qui, selon lui, constitue « la menace la plus sérieuse au monde pour la paix internationale»

Le premier ministre Stephen Harper prépare-t-il le public canadien à un éventuel conflit avec l’Iran? Dans deux entrevues récentes (ici et ici), il a « sonné l’alarme » à propos de la possibilité d’un Iran doté d’un arsenal nucléaire qui, selon lui, constitue « la menace la plus sérieuse au monde pour la paix internationale» [Traduction].

M. Harper a raison de se soucier de la possibilité de l’acquisition par Téhéran d’armes nucléaires. Toute prolifération d’armes de destruction massive est une mauvaise nouvelle, et il y a peu de régimes plus odieux sur la planète que celui qui règne sur l’Iran depuis la Révolution islamique de 1979.

Mais est-il justifié d’affirmer que l’Iran n’aurait « aucune hésitation à utiliser les armes nucléaires s’il y voit la possibilité de concrétiser ses visées religieuses ou politiques » [Traduction]?

C’est là un élément important. Si M. Harper a raison, toutes les mesures, y compris une offensive militaire contre l’Iran, seraient justifiées, ou peut-être même requises, pour empêcher ce pays de constituer un pareil arsenal.

Le problème, toutefois, est que l’évaluation du premier ministre contredit nettement ce que nous savons à propos du comportement du régime iranien. En dépit de leur discours jihadiste révolutionnaire, les mullahs qui règnent sur l’Iran ont constamment cherché à atteindre un but avant tout autre: demeurer au pouvoir.

Oui, les dirigeants de l’Iran ont produit les énoncés les plus répugnants et les plus menaçants au sujet d’Israël, et c’est un secret de polichinelle que le fait qu’ils appuient les organisations faisant usage de tactiques terroristes, notamment le Hezbollah et le Hamas. Mais le régime n’indique d’aucune façon qu’il est lui-même suicidaire, ce que M. Harper laisse entendre lorsqu’il affirme que les dirigeants du pays « n’hésiteraient pas » [Traduction] à recourir aux armes nucléaires. La plupart des experts qui observent l’Iran de près réfutent l’hypothèse selon laquelle ses dirigeants iraient ainsi jusqu’à provoquer leur propre destruction assurée.

D’un autre côté, ceci ne devrait justifier d’aucune façon la complaisance face au programme nucléaire iranien. Il est naturellement inquiétant que l’Iran semble s’affairer à mettre au point de pareilles armes, ou, à tout le moins, à acquérir la capacité de les concevoir. Bien que l’Agence internationale de l’énergie atomique ne possède toujours pas la preuve définitive de l’existence d’un programme d’armes nucléaires, il existe plus que suffisamment de preuves circonstancielles qui justifient la position agressive de resserrement diplomatique et économique que le Canada et les autres pays occidentaux imposent à l’Iran – à condition qu’il soit également combiné à une diplomatie créative qui confère à l’Iran une porte de sortie, choisirait-il de l’emprunter.

La question à se poser, cependant, est jusqu’où nous sommes prêts à aller pour freiner un tel programme, si (et quand) des preuves tangibles émergeaient à l’effet que l’Iran s’apprête à mettre au point un dispositif nucléaire fonctionnel et praticable. Si des perceptions erronées à propos du comportement iranien éclairent notre réponse à cette question – si nous succombons aux peurs fondées sur des portraits exagérés plutôt que des faits – nous risquons de commettre des erreurs stratégiques terribles.

Certains diraient : Comment pouvons-nous nous permettre d’attendre plus longtemps avant de considérer une action militaire préventive pour écarter cette menace imminente? Nous avons entendu des versions de cet argument de la bouche de candidats aux primaires républicaines et de certains commentateurs américains conservateurs, notamment.

Mais comment s’articulerait exactement une telle intervention? Des bombardements peuvent-ils vraiment, à eux seuls, stopper, ou même retarder significativement les efforts nucléaires de l’Iran? Une attaque limitée ne servirait-elle pas qu’à raffermir le pouvoir des dirigeants iraniens à l’échelle nationale? Ne contribuerait-elle pas aussi à renforcer l’engagement du régime à acquérir des armes nucléaires comme outils dissuasif contre toute attaque éventuelle? Et si une intervention étrangère avait pour effet d’enflammer toute la région? Et si elle résultait en un enlisement dans une autre ruinante guerre d’occupation?

Rappelons-nous également que l’ex-président américain George W. Bush, en réponse aux préoccupations à propos de la justification d’une attaque contre l’Iraq, usait de certains des mêmes arguments que nous entendons aujourd’hui. « Compte tenu de l’évident péril auquel nous sommes confrontés », a-t-il affirmé en 2002, quelques mois à peine avant l’invasion de l’Iraq par les États-Unis, « nous ne pouvons attendre la preuve ultime, la fumée du coup de feu qui pourrait se montrer sous la forme d’un champignon atomique. » [Traduction] Malheureusement, ce message effroyable et pourtant non fondé, qui est demeuré largement incontesté par certains des organismes médiatiques les plus réputés du pays, a trouvé raison auprès d’un grand nombre d’Américains.

Il devrait aller de soi que les leaders politiques ont besoin d’être très prudents lorsqu’ils évoquent des visions cauchemardesques de catastrophe nucléaire. Peu d’outils rhétoriques sont plus percutants, ou risquent plus de soulever les passions populaires, que des allusions à une éventuelle destruction massive. Voilà pourquoi nous devons soumettre ces affirmations à un examen très pointu.

M. Harper reconnaît qu’il craint l’Iran. Moi aussi – tout comme plusieurs autres. Mais en cette période cruciale, alors que les tensions grimpent entre l’Iran et l’occident, notre premier ministre doit garder la tête froide. Il doit se distancer du dangereux gouffre de la rhétorique.

Ce billet a d’abord paru en anglais dans le blogue du Conseil International du Canada : opencanada.org.

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