L’Iran et les turpitudes de Trump

S’il y en a qui se sentent rassurés par la récente décision de Donald Trump de suspendre l’imposition de sanctions à l’Iran liées à l’accord nucléaire multipartite, il est important de les détromper d’autant plus que ce n’est pas le gouvernement canadien qui va aider l’opinion publique canadienne à comprendre la réalité. La déclaration du

S’il y en a qui se sentent rassurés par la récente décision de Donald Trump de suspendre l’imposition de sanctions à l’Iran liées à l’accord nucléaire multipartite, il est important de les détromper d’autant plus que ce n’est pas le gouvernement canadien qui va aider l’opinion publique canadienne à comprendre la réalité. La déclaration du président américain « ordonnant » aux Européens de « fixer les écueils épouvantables de l’accord nucléaire avec l’Iran » sinon les États-Unis se retireront immédiatement de l’accord, est un véritable affront que même George Bush le fils au pire de la crise irakienne en 2003 ne se serait pas permis envers ses alliés. Ce chantage, malheureusement animé par les membres du Congrès influencés par l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) ainsi que la droite israélienne au pouvoir et surtout par la volonté maladive de Trump d’éviscérer les contributions de son prédécesseur, met en péril un accord que seul Trump dénonce, les autres membres de son administration soit se taisant, soit, comme le Secrétaire à la Défense, appelant son maintien. Par-delà la grossièreté de Trump, son mépris des traités conclus, du travail collectif au sein de l’ONU et dans les enceintes spécialisées comme l’Agence internationale de l’énergie atomique, il y a l’arrogance d’un président qui croit que son jugement sur l’accord l’emporte sur celui de tous ceux qui ont été associés à la négociation et qui en connaissent le contenu, y compris ses limites. Trump ne connait probablement rien de l’accord qu’il n’a certainement pas lu.

Il est sidérant de penser que d’un côté Trump essaie de forcer Kim Jung-on à renoncer à l’arme nucléaire alors que le leader nord-coréen y voit, avec justesse, le rempart suprême contre toute tentative extérieure de changement de son régime et que, de l’autre, il veut supprimer la garantie négociée dans le Programme global d’action conjoint (PGAC) que l’Iran ne se dote pas de l’arme nucléaire. Pire, Trump prône un changement de régime en Iran, ce qui doit inquiéter aussi bien Khamenei que Kim…  Évidemment qu’Israël se soit doté de l’arme nucléaire est tout-à-fait acceptable aux yeux de l’administration américaine mais aux yeux de cette dernière l’Iran n’aurait même pas le droit de développer son énergie nucléaire pacifique à cause des risques  que ce développement facilite l’accès à la version militaire. Israël, on l’oublie souvent, fait partie d’une brochette de pays n’ayant pas signé le Traité de Non-prolifération nucléaire (NPT). C’est donc d’autant plus méritoire pour l’Iran d’avoir conclu l’accord multipartite. Bien que le PGAC  légitimise le programme nucléaire pacifique iranien, l’Iran a accepté des entraves à l’exercice de sa souveraineté. Mais il en garde l’exerce légitime en matière de missiles qui ne sont pas couverts par l’accord. C’est un aspect qui irrite profondément l’administration américaine qui feint d’ignorer que l’instabilité au Moyen-Orient affecte tout autant l’Iran, à preuve la crise du Yémen où les coups les plus durs sont portés par l’Arabie Saoudite, alliée « renforcée » des États-Unis.

Mais plus fondamentalement, la volonté de Trump de « dicter » unilatéralement aux Européens ou aux Iraniens quoi faire sur le Programme global d’action conjoint  ne respecte même pas les mécanismes de contestation établis, notamment via les Nations Unies, répositaire de l’accord. C’est d’autant plus stupide que Trump s’est privé d’un mécanisme multipartite de dialogue avec l’Iran si d’aventure un consensus s’établissait à l’effet de collectivement renforcer certaines dispositions ou de les prolonger dans un contexte évolutif. Le fameux « better deal » à la Trump ne rentre pas dans cette catégorie… Et quel serait l’incitatif pour l’Iran de renégocier l’accord ? Qu’est-ce que Trump est prêt à mettre  sur la table en échange de concessions iraniennes ?

Trump n’a cessé de tronquer la vérité, par exemple en prétendant que le règlement d’une dette du temps du Shah d’Iran était lié à l’Accord ou encore de dénoncer  des transferts de fonds « destinés à armer et former plus de 100,000 militants chargés de semer la destruction au Moyen-Orient », ignorant évidemment la contribution iranienne dans la lutte contre Daesh même si les raisons sous-tendant celle-ci n’étaient pas toutes les mêmes que les motivations occidentales.

Les quatre « demandes »  de Trump montrent qu’il ne connait pas l’Accord puisque la première touche à des inspections qui sont déjà incluses. Quant à l’exigence que “l’Iran ne s’approche jamais de la possession d’une arme nucléaire”, encore faut-il définir ce que cela veut dire. Interdire tout enrichissement d’uranium est exclu. L’accord a fait en sorte que la période de temps avant que l’Iran ne puisse se doter d’une arme nucléaire passe de deux mois à un an. Aucun accord « trumpien » ne peut faire mieux. La troisième exigence de Trump porte sur les échéances à partir desquelles certaines dispositions ne sont plus applicables. De telles clauses n’ont rien d’anormal mais dans le cas présent, elles reposent sur un fondement que Trump récuse, à savoir, l’engagement de l’Iran de ne jamais se doter de l’arme nucléaire. De bonne foi, ces échéances ont été entérinées pour donner à chaque partie un levier pour permettre une négociation subséquente éventuelle dans un climat de meilleure appréciation mutuelle. L’Iran n’a aucun intérêt à céder sur ce point. Enfin, la quatrième  exigence lie l’accord avec le développement de missiles, ignorant que les seuls missiles qui sont formellement interdits par une résolution de l’ONU sont ceux qui sont capables de transporter une ogive nucléaire – comme celles que Kim Jung-on développe.

Il est clair que Trump veut la fin de l’accord et bloquer toute coopération économique et commerciale avec l’Iran, enjoignant même les membres du G-20 à suspendre leurs échanges avec l’Iran.  La lâcheté dont il faire preuve en essayant de faire porter le blâme sur les Européens reflète bien le personnage. En bout de ligne, ce sont les États-Unis qui sont les perdants…

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L’Iran et les turpitudes de Trump

S’il y en a qui se sentent rassurés par la récente décision de Donald Trump de suspendre l’imposition de sanctions à l’Iran liées à l’accord nucléaire multipartite, il est important de les détromper d’autant plus que ce n’est pas le gouvernement canadien qui va aider l’opinion publique canadienne à comprendre la réalité. La déclaration du

S’il y en a qui se sentent rassurés par la récente décision de Donald Trump de suspendre l’imposition de sanctions à l’Iran liées à l’accord nucléaire multipartite, il est important de les détromper d’autant plus que ce n’est pas le gouvernement canadien qui va aider l’opinion publique canadienne à comprendre la réalité. La déclaration du président américain « ordonnant » aux Européens de « fixer les écueils épouvantables de l’accord nucléaire avec l’Iran » sinon les États-Unis se retireront immédiatement de l’accord, est un véritable affront que même George Bush le fils au pire de la crise irakienne en 2003 ne se serait pas permis envers ses alliés. Ce chantage, malheureusement animé par les membres du Congrès influencés par l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) ainsi que la droite israélienne au pouvoir et surtout par la volonté maladive de Trump d’éviscérer les contributions de son prédécesseur, met en péril un accord que seul Trump dénonce, les autres membres de son administration soit se taisant, soit, comme le Secrétaire à la Défense, appelant son maintien. Par-delà la grossièreté de Trump, son mépris des traités conclus, du travail collectif au sein de l’ONU et dans les enceintes spécialisées comme l’Agence internationale de l’énergie atomique, il y a l’arrogance d’un président qui croit que son jugement sur l’accord l’emporte sur celui de tous ceux qui ont été associés à la négociation et qui en connaissent le contenu, y compris ses limites. Trump ne connait probablement rien de l’accord qu’il n’a certainement pas lu.

Il est sidérant de penser que d’un côté Trump essaie de forcer Kim Jung-on à renoncer à l’arme nucléaire alors que le leader nord-coréen y voit, avec justesse, le rempart suprême contre toute tentative extérieure de changement de son régime et que, de l’autre, il veut supprimer la garantie négociée dans le Programme global d’action conjoint (PGAC) que l’Iran ne se dote pas de l’arme nucléaire. Pire, Trump prône un changement de régime en Iran, ce qui doit inquiéter aussi bien Khamenei que Kim…  Évidemment qu’Israël se soit doté de l’arme nucléaire est tout-à-fait acceptable aux yeux de l’administration américaine mais aux yeux de cette dernière l’Iran n’aurait même pas le droit de développer son énergie nucléaire pacifique à cause des risques  que ce développement facilite l’accès à la version militaire. Israël, on l’oublie souvent, fait partie d’une brochette de pays n’ayant pas signé le Traité de Non-prolifération nucléaire (NPT). C’est donc d’autant plus méritoire pour l’Iran d’avoir conclu l’accord multipartite. Bien que le PGAC  légitimise le programme nucléaire pacifique iranien, l’Iran a accepté des entraves à l’exercice de sa souveraineté. Mais il en garde l’exerce légitime en matière de missiles qui ne sont pas couverts par l’accord. C’est un aspect qui irrite profondément l’administration américaine qui feint d’ignorer que l’instabilité au Moyen-Orient affecte tout autant l’Iran, à preuve la crise du Yémen où les coups les plus durs sont portés par l’Arabie Saoudite, alliée « renforcée » des États-Unis.

Mais plus fondamentalement, la volonté de Trump de « dicter » unilatéralement aux Européens ou aux Iraniens quoi faire sur le Programme global d’action conjoint  ne respecte même pas les mécanismes de contestation établis, notamment via les Nations Unies, répositaire de l’accord. C’est d’autant plus stupide que Trump s’est privé d’un mécanisme multipartite de dialogue avec l’Iran si d’aventure un consensus s’établissait à l’effet de collectivement renforcer certaines dispositions ou de les prolonger dans un contexte évolutif. Le fameux « better deal » à la Trump ne rentre pas dans cette catégorie… Et quel serait l’incitatif pour l’Iran de renégocier l’accord ? Qu’est-ce que Trump est prêt à mettre  sur la table en échange de concessions iraniennes ?

Trump n’a cessé de tronquer la vérité, par exemple en prétendant que le règlement d’une dette du temps du Shah d’Iran était lié à l’Accord ou encore de dénoncer  des transferts de fonds « destinés à armer et former plus de 100,000 militants chargés de semer la destruction au Moyen-Orient », ignorant évidemment la contribution iranienne dans la lutte contre Daesh même si les raisons sous-tendant celle-ci n’étaient pas toutes les mêmes que les motivations occidentales.

Les quatre « demandes »  de Trump montrent qu’il ne connait pas l’Accord puisque la première touche à des inspections qui sont déjà incluses. Quant à l’exigence que “l’Iran ne s’approche jamais de la possession d’une arme nucléaire”, encore faut-il définir ce que cela veut dire. Interdire tout enrichissement d’uranium est exclu. L’accord a fait en sorte que la période de temps avant que l’Iran ne puisse se doter d’une arme nucléaire passe de deux mois à un an. Aucun accord « trumpien » ne peut faire mieux. La troisième exigence de Trump porte sur les échéances à partir desquelles certaines dispositions ne sont plus applicables. De telles clauses n’ont rien d’anormal mais dans le cas présent, elles reposent sur un fondement que Trump récuse, à savoir, l’engagement de l’Iran de ne jamais se doter de l’arme nucléaire. De bonne foi, ces échéances ont été entérinées pour donner à chaque partie un levier pour permettre une négociation subséquente éventuelle dans un climat de meilleure appréciation mutuelle. L’Iran n’a aucun intérêt à céder sur ce point. Enfin, la quatrième  exigence lie l’accord avec le développement de missiles, ignorant que les seuls missiles qui sont formellement interdits par une résolution de l’ONU sont ceux qui sont capables de transporter une ogive nucléaire – comme celles que Kim Jung-on développe.

Il est clair que Trump veut la fin de l’accord et bloquer toute coopération économique et commerciale avec l’Iran, enjoignant même les membres du G-20 à suspendre leurs échanges avec l’Iran.  La lâcheté dont il faire preuve en essayant de faire porter le blâme sur les Européens reflète bien le personnage. En bout de ligne, ce sont les États-Unis qui sont les perdants…

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