L’ordonnance de la CIJ «l’inamicalité» Américano-Iranienne et le droit international

Les États-Unis vont se retirer d’un traité vieux de plusieurs décennies avec l’Iran, utilisé par Téhéran pour fonder une affaire devant la Cour internationale de Justice (CIJ), a déclaré le secrétaire d’État américain Mike Pompeo.

L’ordonnance rendue par la Cour internationale de Justice (CIJ) dans l’affaire qui oppose l’Iran aux États-Unis d’Amérique n’est qu’un nouvel épisode de la saga conflictuelle, aux multiples facettes, entre ces deux États. L’Iran et les États-Unis d’Amérique, ennemis jurés depuis la révolution islamique de 1979, se sont souvent livrés des batailles diplomatiques et politiques (crise

L’ordonnance rendue par la Cour internationale de Justice (CIJ) dans l’affaire qui oppose l’Iran aux États-Unis d’Amérique n’est qu’un nouvel épisode de la saga conflictuelle, aux multiples facettes, entre ces deux États. L’Iran et les États-Unis d’Amérique, ennemis jurés depuis la révolution islamique de 1979, se sont souvent livrés des batailles diplomatiques et politiques (crise des otages, négociations du Plan d’action global commun [le PAGC]), tout en préférant mener leurs opérations armées en recourant à des «épées d’emprunt» (proxy war). Les confrontations indirectes entre ces deux États en Irak, au Liban ou en Syrie ne sont que quelques exemples de ces guerres par procuration. Cependant, leurs recours, à maintes reprises, à la Cour internationale de justice, montrent — et c’est peut-être le seul élément positif qui caractérise la politique de ces deux pays — que ces deux États, plus par pragmatisme que par conviction, n’ont jamais écarté la voie légale pour régler certains de leurs conflits. C’est ce que le gouvernement iranien a fait au mois de mai, suite au retrait américain de l’accord sur le nucléaire et au rétablissement des sanctions contre l’Iran.  Dans l’ordonnance en question, la Cour a eu l’occasion de statuer sur trois questions : sa compétence prima facie, l’adoption de mesures provisoires demandées et les droits dont la protection est recherchée et, enfin, le risque de préjudice irréparable et l’urgence.

Position de la Cour

Les réponses de la Cour à ces différentes questions peuvent être considérées comme une victoire juridique iranienne, provisoire certes, mais qui s’ajoute à la série des défaites américaines face à l’Iran durant les deux dernières décennies (Irak, Syrie, Liban…).

S’agissant de sa compétence, la Cour a confirmé les allégations de la partie iranienne en statuant que le différend en question «a trait à l’interprétation ou à l’application du traité d’amitié» et qu’il« n’a pas été réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique avant de lui être soumis», tout en concluant que, «prima facie, elle est compétente en vertu du paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955 (Traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires (ci-après le Traité d’amitié))». Un retour sur l’histoire montre que la position de la Cour sur cette question est quasiment constante. À titre d’exemple, en 1996, la Cour s’est déclarée compétente pour statuer sur un différend qui opposait les mêmes protagonistes (affaire des plates-formes pétrolières) en se basant sur la clause compromissoire contenue dans le traité en question. Comme l’explique bien cette même instance dans une autre affaire, opposant, encore une fois, les mêmes États, «aucune violation du traité commise par l’une ou l’autre  des parties ne saurait avoir pour effet d’empêcher cette partie d’invoquer les dispositions du traité relatives au règlement pacifique des différends» (affaire du personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran)

S’agissant de la deuxième question, la Cour a conclu que, «certains des droits revendiqués par l’Iran au titre du traité de 1955 sont plausibles» et que «’il existe un lien entre certains des droits dont la protection est recherchée et certains aspects des mesures conservatoires demandées par l’Iran». Ces droits consistent, notamment, dans tout ce qui a «trait à l’importation et à l’achat de biens nécessaires à des fins humanitaires (médicaments, denrées alimentaires…), ainsi que de biens et services indispensables à la sécurité de l’aviation civile». Sur cet aspect, la Cour a débouté les Américains, mais sans acquiescer à toutes les demandes iraniennes notamment en ce qui concerne la levée de l’intégralité des sanctions décidées par le nouveau locataire de la Maison-Blanche.

Pour la Cour, certaines de ces sanctions peuvent entraîner des conséquences irréparables et qu’il y a urgence de prendre des mesures conservatoires. Par conséquent, elle ordonne aux États-Unis d’Amérique de  «supprimer toute entrave que les mesures annoncées le 8 mai 2018 mettent à la libre exportation vers le territoire de la République islamique d’Iran» des biens et denrées nécessaires à des fins humanitaires et à la sécurité de l’aviation civile.

Bonne stratégie iranienne

Les Iraniens, représentés par des juristes chevronnés dont les professeurs Alain Pellet, Jean-Marc Thouvenin et l’expert international Mohsen Mohebi (sans oublier le rôle du professeur Jamshid Momtaz et cela, même si ce dernier a agi, dans cette affaire, comme juge ad hoc), ont réussi à convaincre la Cour d’asseoir sa compétence sur le Traité d’amitié et surtout de réduire le Plan d’action global commun (Joint Comprehensive Plan of Action, JCPOA) à un élément contextuel presque marginal! Le pari iranien n’était pas facile à tenir surtout que tout indiquait que les sanctions étaient étroitement liées au Plan en question lequel, rappelons-le, ne contient pas de clause compromissoire attribuant une quelconque compétence à la CIJ.

Dans un style qui lui est propre, le professeur Pellet détruit — sans donner l’impression de le faire — l’argument de ses adversaires américains et oriente la boussole de la Cour vers sa position. S’adressant à celle-ci, il dit en substance que  «ce n’est pas à dire que le plan d’action global commun (le PAGC), plus connu sous son nom et son sigle anglais Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) que j’utiliserai sans vergogne… On ne peut pas dire que ce JCPOA soit dépourvu de pertinence en la présente espèce. Mais cette pertinence n’est pas ce que prétendent les États-Unis : le JCPOA ne constitue que le contexte dans lequel les sanctions contestées ont été prises ; le retrait des États-Unis, aussi contestable qu’il soit, n’est en aucune manière l’objet du différend que l’Iran vous a soumis»!

Pour se prévaloir de cet argument, selon lequel le JCPOA ne serait qu’élément contextuel, les Iraniens ont d’ores et déjà commencé à préparer leur stratégie de défense dès l’annonce faite par M. Trump de se retirer du plan en question et de rétablir les sanctions contre l’Iran.

Dans un premier temps, ils ont tenté de chercher des solutions diplomatiques — ou en prétendant le faire, puisque les Iraniens savent, mieux que quiconque, que la diplomatie n’est pas le «sport» favori du Président Trump — afin de se conformer à la condition de l’article XXI par. 2, du Traité d’amitié. Celui-ci stipule que, «tout différend qui pourrait s’élever entre les Hautes Parties contractantes quant à l’interprétation ou à l’application du présent Traité et qui ne pourrait pas être réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique sera porté devant la Cour internationale de Justice, à moins que les Hautes Parties contractantes ne conviennent de le régler par d’autres moyens pacifiques».

Les Iraniens ont, dans un deuxième temps, notifié, à deux reprises, aux Américains, leur opposition aux mesures prises tout en leur rappelant que ces sanctions violent le Traité d’amitié et qu’ils se réservaient le droit de «régler le différend conformément aux traités liant les Parties si celui-ci ne pouvait être résolu par la voie diplomatique».

Fidèles à leur diplomatie qui ressemble à l’art du «tissage de leurs tapis», pour reprendre l’expression de Saeed Jalili, figure emblématique du dossier nucléaire iranien, les Iraniens ont donc, dès le début du litige, préparé le «terrain factuel» pour soutenir leur requête introductive d’instance, afin de contrecarrer, par anticipation, la stratégie défensive américaine. Car, pour les Américains, la Cour ne peut pas être compétente puisque le conflit ne concerne que le Plan d’action global commun (le PAGC – JCPOA) et puisque ce Plan contient des mécanismes spécifiques de règlement des différends sans aucune référence à la Cour internationale de justice (article 36 du PAGC – JCPOA).

Certes, la stratégie juridique iranienne n’était pas exempte de risque en raison, d’une part, du lien étroit entre les sanctions et le JCPOA et, d’autre part, de l’existence de clauses d’exclusion prévues à l’article XX(1) dudit traité, mais elle était, à notre avis, la meilleure voie à suivre. Les Iraniens ont, ainsi, réussi à ramener, provisoirement, la Cour dans leur précarré en se basant sur le Traité et en profitant du refus américain de considérer le Plan d’action global commun  (PAGC – JCPOA)  comme un traité obligatoire et distinct!

Réaction américaine

Les Américains, suite à cette ordonnance, ont décidé de se retirer du Traité en question. Cependant, en termes procéduraux, ce retrait ne peut prendre effet qu’une année à partir de sa notification à l’autre partie (Article XXIII (3)). C’est dire que la Cour va continuer à statuer aussi bien sur cette affaire que sur une autre affaire, encore pendante, opposant les deux pays (certains actifs iraniens  introduits par l’Iran, contre les États-Unis d’Amérique, et fondés sur la violation, par les Américains, du Traité en question).

Au cours des prochaines étapes, lorsque la Cour statuera sur le fond du litige (case on the merits), les Américains n’auront d’autres choix que de baser leur défense sur l’article XX(1) du Traité, plus précisément sur la clause qui soustrait de l’application de ce Traité, les mesures nécessaires à la protection de la sécurité nationale. Ils auront alors la difficile tâche de convaincre la Cour que les sanctions prises sont conformes à la clause en cause. L’ordonnance de la Cour semble leur indiquer cette voie. Les Américains auront, alors, besoin d’«argument plus convaincant et plus fort (Something more granular and compelling is required)» pour reprendre la formulation de l’un des experts internationaux mobilisés par l’administration américaine en l’occurrence, l’avocat Sir Daniel Bethlehem.

Il semble, enfin, que, non seulement le Traité d’amitié avec l’Iran est devenu un boulet juridique pour les Américains, mais, aussi, toutes les règles du droit international qui peuvent saper la suprématie américaine. En effet, suite à l’ordonnance rendue par la CIJ, les Américains ont décidé non seulement de «déchirer» le Traité d’amitié, mais, aussi, de se retirer du Protocole de signature facultative à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, concernant le règlement obligatoire des différends de 1961. Par conséquent, on peut se demander — légitimement — si ceux qui qualifient l’administration américaine d’administration «hors la loi» n’ont pas tout à fait tort.

 

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L’ordonnance de la CIJ «l’inamicalité» Américano-Iranienne et le droit international

Les États-Unis vont se retirer d’un traité vieux de plusieurs décennies avec l’Iran, utilisé par Téhéran pour fonder une affaire devant la Cour internationale de Justice (CIJ), a déclaré le secrétaire d’État américain Mike Pompeo.

L’ordonnance rendue par la Cour internationale de Justice (CIJ) dans l’affaire qui oppose l’Iran aux États-Unis d’Amérique n’est qu’un nouvel épisode de la saga conflictuelle, aux multiples facettes, entre ces deux États. L’Iran et les États-Unis d’Amérique, ennemis jurés depuis la révolution islamique de 1979, se sont souvent livrés des batailles diplomatiques et politiques (crise

L’ordonnance rendue par la Cour internationale de Justice (CIJ) dans l’affaire qui oppose l’Iran aux États-Unis d’Amérique n’est qu’un nouvel épisode de la saga conflictuelle, aux multiples facettes, entre ces deux États. L’Iran et les États-Unis d’Amérique, ennemis jurés depuis la révolution islamique de 1979, se sont souvent livrés des batailles diplomatiques et politiques (crise des otages, négociations du Plan d’action global commun [le PAGC]), tout en préférant mener leurs opérations armées en recourant à des «épées d’emprunt» (proxy war). Les confrontations indirectes entre ces deux États en Irak, au Liban ou en Syrie ne sont que quelques exemples de ces guerres par procuration. Cependant, leurs recours, à maintes reprises, à la Cour internationale de justice, montrent — et c’est peut-être le seul élément positif qui caractérise la politique de ces deux pays — que ces deux États, plus par pragmatisme que par conviction, n’ont jamais écarté la voie légale pour régler certains de leurs conflits. C’est ce que le gouvernement iranien a fait au mois de mai, suite au retrait américain de l’accord sur le nucléaire et au rétablissement des sanctions contre l’Iran.  Dans l’ordonnance en question, la Cour a eu l’occasion de statuer sur trois questions : sa compétence prima facie, l’adoption de mesures provisoires demandées et les droits dont la protection est recherchée et, enfin, le risque de préjudice irréparable et l’urgence.

Position de la Cour

Les réponses de la Cour à ces différentes questions peuvent être considérées comme une victoire juridique iranienne, provisoire certes, mais qui s’ajoute à la série des défaites américaines face à l’Iran durant les deux dernières décennies (Irak, Syrie, Liban…).

S’agissant de sa compétence, la Cour a confirmé les allégations de la partie iranienne en statuant que le différend en question «a trait à l’interprétation ou à l’application du traité d’amitié» et qu’il« n’a pas été réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique avant de lui être soumis», tout en concluant que, «prima facie, elle est compétente en vertu du paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955 (Traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires (ci-après le Traité d’amitié))». Un retour sur l’histoire montre que la position de la Cour sur cette question est quasiment constante. À titre d’exemple, en 1996, la Cour s’est déclarée compétente pour statuer sur un différend qui opposait les mêmes protagonistes (affaire des plates-formes pétrolières) en se basant sur la clause compromissoire contenue dans le traité en question. Comme l’explique bien cette même instance dans une autre affaire, opposant, encore une fois, les mêmes États, «aucune violation du traité commise par l’une ou l’autre  des parties ne saurait avoir pour effet d’empêcher cette partie d’invoquer les dispositions du traité relatives au règlement pacifique des différends» (affaire du personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran)

S’agissant de la deuxième question, la Cour a conclu que, «certains des droits revendiqués par l’Iran au titre du traité de 1955 sont plausibles» et que «’il existe un lien entre certains des droits dont la protection est recherchée et certains aspects des mesures conservatoires demandées par l’Iran». Ces droits consistent, notamment, dans tout ce qui a «trait à l’importation et à l’achat de biens nécessaires à des fins humanitaires (médicaments, denrées alimentaires…), ainsi que de biens et services indispensables à la sécurité de l’aviation civile». Sur cet aspect, la Cour a débouté les Américains, mais sans acquiescer à toutes les demandes iraniennes notamment en ce qui concerne la levée de l’intégralité des sanctions décidées par le nouveau locataire de la Maison-Blanche.

Pour la Cour, certaines de ces sanctions peuvent entraîner des conséquences irréparables et qu’il y a urgence de prendre des mesures conservatoires. Par conséquent, elle ordonne aux États-Unis d’Amérique de  «supprimer toute entrave que les mesures annoncées le 8 mai 2018 mettent à la libre exportation vers le territoire de la République islamique d’Iran» des biens et denrées nécessaires à des fins humanitaires et à la sécurité de l’aviation civile.

Bonne stratégie iranienne

Les Iraniens, représentés par des juristes chevronnés dont les professeurs Alain Pellet, Jean-Marc Thouvenin et l’expert international Mohsen Mohebi (sans oublier le rôle du professeur Jamshid Momtaz et cela, même si ce dernier a agi, dans cette affaire, comme juge ad hoc), ont réussi à convaincre la Cour d’asseoir sa compétence sur le Traité d’amitié et surtout de réduire le Plan d’action global commun (Joint Comprehensive Plan of Action, JCPOA) à un élément contextuel presque marginal! Le pari iranien n’était pas facile à tenir surtout que tout indiquait que les sanctions étaient étroitement liées au Plan en question lequel, rappelons-le, ne contient pas de clause compromissoire attribuant une quelconque compétence à la CIJ.

Dans un style qui lui est propre, le professeur Pellet détruit — sans donner l’impression de le faire — l’argument de ses adversaires américains et oriente la boussole de la Cour vers sa position. S’adressant à celle-ci, il dit en substance que  «ce n’est pas à dire que le plan d’action global commun (le PAGC), plus connu sous son nom et son sigle anglais Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) que j’utiliserai sans vergogne… On ne peut pas dire que ce JCPOA soit dépourvu de pertinence en la présente espèce. Mais cette pertinence n’est pas ce que prétendent les États-Unis : le JCPOA ne constitue que le contexte dans lequel les sanctions contestées ont été prises ; le retrait des États-Unis, aussi contestable qu’il soit, n’est en aucune manière l’objet du différend que l’Iran vous a soumis»!

Pour se prévaloir de cet argument, selon lequel le JCPOA ne serait qu’élément contextuel, les Iraniens ont d’ores et déjà commencé à préparer leur stratégie de défense dès l’annonce faite par M. Trump de se retirer du plan en question et de rétablir les sanctions contre l’Iran.

Dans un premier temps, ils ont tenté de chercher des solutions diplomatiques — ou en prétendant le faire, puisque les Iraniens savent, mieux que quiconque, que la diplomatie n’est pas le «sport» favori du Président Trump — afin de se conformer à la condition de l’article XXI par. 2, du Traité d’amitié. Celui-ci stipule que, «tout différend qui pourrait s’élever entre les Hautes Parties contractantes quant à l’interprétation ou à l’application du présent Traité et qui ne pourrait pas être réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique sera porté devant la Cour internationale de Justice, à moins que les Hautes Parties contractantes ne conviennent de le régler par d’autres moyens pacifiques».

Les Iraniens ont, dans un deuxième temps, notifié, à deux reprises, aux Américains, leur opposition aux mesures prises tout en leur rappelant que ces sanctions violent le Traité d’amitié et qu’ils se réservaient le droit de «régler le différend conformément aux traités liant les Parties si celui-ci ne pouvait être résolu par la voie diplomatique».

Fidèles à leur diplomatie qui ressemble à l’art du «tissage de leurs tapis», pour reprendre l’expression de Saeed Jalili, figure emblématique du dossier nucléaire iranien, les Iraniens ont donc, dès le début du litige, préparé le «terrain factuel» pour soutenir leur requête introductive d’instance, afin de contrecarrer, par anticipation, la stratégie défensive américaine. Car, pour les Américains, la Cour ne peut pas être compétente puisque le conflit ne concerne que le Plan d’action global commun (le PAGC – JCPOA) et puisque ce Plan contient des mécanismes spécifiques de règlement des différends sans aucune référence à la Cour internationale de justice (article 36 du PAGC – JCPOA).

Certes, la stratégie juridique iranienne n’était pas exempte de risque en raison, d’une part, du lien étroit entre les sanctions et le JCPOA et, d’autre part, de l’existence de clauses d’exclusion prévues à l’article XX(1) dudit traité, mais elle était, à notre avis, la meilleure voie à suivre. Les Iraniens ont, ainsi, réussi à ramener, provisoirement, la Cour dans leur précarré en se basant sur le Traité et en profitant du refus américain de considérer le Plan d’action global commun  (PAGC – JCPOA)  comme un traité obligatoire et distinct!

Réaction américaine

Les Américains, suite à cette ordonnance, ont décidé de se retirer du Traité en question. Cependant, en termes procéduraux, ce retrait ne peut prendre effet qu’une année à partir de sa notification à l’autre partie (Article XXIII (3)). C’est dire que la Cour va continuer à statuer aussi bien sur cette affaire que sur une autre affaire, encore pendante, opposant les deux pays (certains actifs iraniens  introduits par l’Iran, contre les États-Unis d’Amérique, et fondés sur la violation, par les Américains, du Traité en question).

Au cours des prochaines étapes, lorsque la Cour statuera sur le fond du litige (case on the merits), les Américains n’auront d’autres choix que de baser leur défense sur l’article XX(1) du Traité, plus précisément sur la clause qui soustrait de l’application de ce Traité, les mesures nécessaires à la protection de la sécurité nationale. Ils auront alors la difficile tâche de convaincre la Cour que les sanctions prises sont conformes à la clause en cause. L’ordonnance de la Cour semble leur indiquer cette voie. Les Américains auront, alors, besoin d’«argument plus convaincant et plus fort (Something more granular and compelling is required)» pour reprendre la formulation de l’un des experts internationaux mobilisés par l’administration américaine en l’occurrence, l’avocat Sir Daniel Bethlehem.

Il semble, enfin, que, non seulement le Traité d’amitié avec l’Iran est devenu un boulet juridique pour les Américains, mais, aussi, toutes les règles du droit international qui peuvent saper la suprématie américaine. En effet, suite à l’ordonnance rendue par la CIJ, les Américains ont décidé non seulement de «déchirer» le Traité d’amitié, mais, aussi, de se retirer du Protocole de signature facultative à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, concernant le règlement obligatoire des différends de 1961. Par conséquent, on peut se demander — légitimement — si ceux qui qualifient l’administration américaine d’administration «hors la loi» n’ont pas tout à fait tort.

 

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