La «clause Chine» de l’AEUMC n’est pas un veto

Le secrétaire d'État américain Rex Tillerson, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, et le ministre des Affaires étrangères du Mexique, Luis Videgaray, ont tenu une conférence de presse conjointe à Mexico, au Mexique, le 2 février 2018.State Department

L’article 32.10 de l’accord envisagé entre les États-Unis, le Mexique et le Canada (AEUMC) a provoqué de vives critiques. Divers commentaires ont été jusqu’à dire que la clause constituait en réalité un choix entre les États-Unis et la Chine, ou qu’elle constituait un obstacle presque insurmontable à un accord de libre-échange avec la Chine, ou même

L’article 32.10 de l’accord envisagé entre les États-Unis, le Mexique et le Canada (AEUMC) a provoqué de vives critiques. Divers commentaires ont été jusqu’à dire que la clause constituait en réalité un choix entre les États-Unis et la Chine, ou qu’elle constituait un obstacle presque insurmontable à un accord de libre-échange avec la Chine, ou même qu’elle avait forcé le gouvernement canadien à céder une partie de sa souveraineté en donnant un droit de veto aux États-Unis.

Même si la clause ne la mentionne nulle part, elle concerne effectivement sans aucun doute la Chine. Et il est vrai qu’elle ne plaît pas au Canada. Mais l’article 32.10 de l’AEUMC n’est pas un droit de veto.

Il s’agit plutôt d’un signal du gouvernement américain et non d’une réduction réelle de la souveraineté du Canada en matière de négociation.

La clause contient trois éléments notables. Premièrement, « au moins trois mois avant le début des négociations, tout pays membre doit informer les autres pays membres de son intention d’entamer des négociations de libre-échange avec un pays qui n’est pas une économie de marché. » Deuxièmement, « au plus tard 30 jours avant la date de signature, tout pays membre donnera aux autres pays membres l’occasion d’examiner le texte intégral de l’accord ». Troisièmement, « la conclusion par tout pays membre d’un accord de libre-échange avec un pays qui n’est pas une économie de marché permettra aux autres pays membres de résilier le présent accord moyennant un préavis de six mois et de le remplacer par un accord bilatéral ».

Rappelons-nous que l’Accord de libre-échange nord-américain contient également un article sur le retrait éventuel d’un pays membre: « Une Partie pourra se retirer du présent accord six mois après avoir signifié un avis écrit de retrait aux autres Parties. » Le fait que président américain, Donald Trump, pouvait faire des menaces crédibles de « résilier l’ALENA » était dû à l’existence d’une telle clause. Il n’y a donc rien de nouveau dans la capacité des États-Unis (ou de quelque pays membre) de résilier l’accord, pour quelque raison que ce soit.

En fait, il existe également une clause de retrait dans l’AEUMC (34.6). À cet égard, l’article 32.10 est superflu. Le fait que l’accord prévoit formellement que les États-Unis et le Mexique puissent remplacer l’AEUMC par un accord bilatéral est une nouvelle nuance, mais dans ce cas, l’appui du Mexique serait nécessaire. De plus, cette situation n’est pas si différente de celle qui prévalait en août, lorsque les États-Unis et le Mexique avaient conclu un accord bilatéral préliminaire pour remplacer l’ALENA. En d’autres termes, la variable d’importance ici est le caractère du gouvernement américain, avec ou sans l’article 32.10.

Qu’est-ce qui est nouveau, alors ? Le devoir d’informer les États-Unis et le Mexique de l’intention du Canada d’entamer des négociations sur un accord de libre-échange avec la Chine trois mois à l’avance. C’est un ajout inhabituel à un accord de libre-échange, mais le contexte est inhabituel. En pratique, ce n’est pas difficile à gérer. Les États-Unis et le Mexique savent déjà clairement que c’est une possibilité.

Le devoir de fournir aux autres pays membres le texte intégral de l’accord est également nouveau et potentiellement plus important. Il existe des circonstances dans lesquelles des fonctionnaires canadiens partagent des informations avec leurs homologues américains, mais cette clause va plus loin, en offrant un devoir formel de partager le texte intégral (y compris les éléments hautement confidentiels). Étant donné qu’un éventuel accord de libre-échange avec la Chine ne serait probablement pas mené à son terme même sous un second gouvernement Trump, les conséquences pratiques sont plus difficiles à évaluer. À noter que le devoir d’informer va aussi dans les deux sens.

Ce qui est certain, c’est que l’article 32,10 ne limite pas la capacité du Canada à aller de l’avant et à tracer son chemin dans le contexte de nos relations étroites avec les États-Unis. La réalité est que l’économie du Canada est étroitement liée à celle de notre voisin du sud et que nous devons en tenir compte que nous partagions les textes intégraux ou non.

Il y a aussi une raison plus banale pour laquelle cette clause à peut-être moins d’impact qu’il n’y paraît. Le texte actuel de la clause prévoit le partage du texte intégral d’un éventuel accord « au plus tard 30 jours avant la date de signature », date à laquelle de nombreux textes ont déjà été rendus publics. Il n’est pas du tout clair qu’il sera raisonnable ou même concevable pour un gouvernement américain de mettre fin à l’AEUMC dans de telles circonstances.

Donc, la clause 32.10 est surtout un signal du gouvernement américain et une tentative de mobilisation d’un soutien international dans le contexte de ses efforts déployés pour contenir la Chine. Il ne s’agit certainement pas d’un message envoyé par le Canada à la Chine : nous savons tous quelle partie a insisté pour durcir le langage à l’égard de la Chine. (…)

Le véritable danger réside dans la possibilité que le Canada soit entraîné dans un conflit profond de haut niveau contre la Chine. Le Canada se doit d’être plus averti que cela. Le Canada se doit d’être plus sensible au caractère multidimensionnel de nos intérêts et à la rapide évolution du monde dans lequel nous opérons.

Pascale Massot est une professeure adjointe à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa.

Cette article était originalement publie par Le Devoir le 19 octobre 2018.

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Le blogue du CÉPI est écrit par des spécialistes en la matière.

Les blogs CIPS sont protégés par la licence Creative Commons: Attribution – Pas de Modification 4.0 International (CC BY-ND 4.0).


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La «clause Chine» de l’AEUMC n’est pas un veto

Le secrétaire d'État américain Rex Tillerson, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, et le ministre des Affaires étrangères du Mexique, Luis Videgaray, ont tenu une conférence de presse conjointe à Mexico, au Mexique, le 2 février 2018.State Department

L’article 32.10 de l’accord envisagé entre les États-Unis, le Mexique et le Canada (AEUMC) a provoqué de vives critiques. Divers commentaires ont été jusqu’à dire que la clause constituait en réalité un choix entre les États-Unis et la Chine, ou qu’elle constituait un obstacle presque insurmontable à un accord de libre-échange avec la Chine, ou même

L’article 32.10 de l’accord envisagé entre les États-Unis, le Mexique et le Canada (AEUMC) a provoqué de vives critiques. Divers commentaires ont été jusqu’à dire que la clause constituait en réalité un choix entre les États-Unis et la Chine, ou qu’elle constituait un obstacle presque insurmontable à un accord de libre-échange avec la Chine, ou même qu’elle avait forcé le gouvernement canadien à céder une partie de sa souveraineté en donnant un droit de veto aux États-Unis.

Même si la clause ne la mentionne nulle part, elle concerne effectivement sans aucun doute la Chine. Et il est vrai qu’elle ne plaît pas au Canada. Mais l’article 32.10 de l’AEUMC n’est pas un droit de veto.

Il s’agit plutôt d’un signal du gouvernement américain et non d’une réduction réelle de la souveraineté du Canada en matière de négociation.

La clause contient trois éléments notables. Premièrement, « au moins trois mois avant le début des négociations, tout pays membre doit informer les autres pays membres de son intention d’entamer des négociations de libre-échange avec un pays qui n’est pas une économie de marché. » Deuxièmement, « au plus tard 30 jours avant la date de signature, tout pays membre donnera aux autres pays membres l’occasion d’examiner le texte intégral de l’accord ». Troisièmement, « la conclusion par tout pays membre d’un accord de libre-échange avec un pays qui n’est pas une économie de marché permettra aux autres pays membres de résilier le présent accord moyennant un préavis de six mois et de le remplacer par un accord bilatéral ».

Rappelons-nous que l’Accord de libre-échange nord-américain contient également un article sur le retrait éventuel d’un pays membre: « Une Partie pourra se retirer du présent accord six mois après avoir signifié un avis écrit de retrait aux autres Parties. » Le fait que président américain, Donald Trump, pouvait faire des menaces crédibles de « résilier l’ALENA » était dû à l’existence d’une telle clause. Il n’y a donc rien de nouveau dans la capacité des États-Unis (ou de quelque pays membre) de résilier l’accord, pour quelque raison que ce soit.

En fait, il existe également une clause de retrait dans l’AEUMC (34.6). À cet égard, l’article 32.10 est superflu. Le fait que l’accord prévoit formellement que les États-Unis et le Mexique puissent remplacer l’AEUMC par un accord bilatéral est une nouvelle nuance, mais dans ce cas, l’appui du Mexique serait nécessaire. De plus, cette situation n’est pas si différente de celle qui prévalait en août, lorsque les États-Unis et le Mexique avaient conclu un accord bilatéral préliminaire pour remplacer l’ALENA. En d’autres termes, la variable d’importance ici est le caractère du gouvernement américain, avec ou sans l’article 32.10.

Qu’est-ce qui est nouveau, alors ? Le devoir d’informer les États-Unis et le Mexique de l’intention du Canada d’entamer des négociations sur un accord de libre-échange avec la Chine trois mois à l’avance. C’est un ajout inhabituel à un accord de libre-échange, mais le contexte est inhabituel. En pratique, ce n’est pas difficile à gérer. Les États-Unis et le Mexique savent déjà clairement que c’est une possibilité.

Le devoir de fournir aux autres pays membres le texte intégral de l’accord est également nouveau et potentiellement plus important. Il existe des circonstances dans lesquelles des fonctionnaires canadiens partagent des informations avec leurs homologues américains, mais cette clause va plus loin, en offrant un devoir formel de partager le texte intégral (y compris les éléments hautement confidentiels). Étant donné qu’un éventuel accord de libre-échange avec la Chine ne serait probablement pas mené à son terme même sous un second gouvernement Trump, les conséquences pratiques sont plus difficiles à évaluer. À noter que le devoir d’informer va aussi dans les deux sens.

Ce qui est certain, c’est que l’article 32,10 ne limite pas la capacité du Canada à aller de l’avant et à tracer son chemin dans le contexte de nos relations étroites avec les États-Unis. La réalité est que l’économie du Canada est étroitement liée à celle de notre voisin du sud et que nous devons en tenir compte que nous partagions les textes intégraux ou non.

Il y a aussi une raison plus banale pour laquelle cette clause à peut-être moins d’impact qu’il n’y paraît. Le texte actuel de la clause prévoit le partage du texte intégral d’un éventuel accord « au plus tard 30 jours avant la date de signature », date à laquelle de nombreux textes ont déjà été rendus publics. Il n’est pas du tout clair qu’il sera raisonnable ou même concevable pour un gouvernement américain de mettre fin à l’AEUMC dans de telles circonstances.

Donc, la clause 32.10 est surtout un signal du gouvernement américain et une tentative de mobilisation d’un soutien international dans le contexte de ses efforts déployés pour contenir la Chine. Il ne s’agit certainement pas d’un message envoyé par le Canada à la Chine : nous savons tous quelle partie a insisté pour durcir le langage à l’égard de la Chine. (…)

Le véritable danger réside dans la possibilité que le Canada soit entraîné dans un conflit profond de haut niveau contre la Chine. Le Canada se doit d’être plus averti que cela. Le Canada se doit d’être plus sensible au caractère multidimensionnel de nos intérêts et à la rapide évolution du monde dans lequel nous opérons.

Pascale Massot est une professeure adjointe à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa.

Cette article était originalement publie par Le Devoir le 19 octobre 2018.

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