Budget fédéral 2021 : aide au développement

Budget fédéral 2021 : aide au développement

Le Canada tient de beaux discours en matière d’aide au développement. Des gouvernements canadiens successifs se vantent des mérites de leurs nouvelles initiatives aux airs impressionnants et du rôle de leadership du pays sur la scène mondiale. Plus récemment, le gouvernement Trudeau a souligné l’importance de l’aide liée à la pandémie dans les pays à


Le Canada tient de beaux discours en matière d’aide au développement. Des gouvernements canadiens successifs se vantent des mérites de leurs nouvelles initiatives aux airs impressionnants et du rôle de leadership du pays sur la scène mondiale. Plus récemment, le gouvernement Trudeau a souligné l’importance de l’aide liée à la pandémie dans les pays à revenu faible et intermédiaire, et Justin Trudeau lui-même a mené l’appel en faveur d’un « accès égal à un vaccin contre la COVID-19 au niveau mondial ».


À première vue, la rhétorique du gouvernement actuel concernant l’aide au développement semble être soutenue par des ressources financières. Par exemple, en 2020, l’aide publique au développement du Canada a augmenté de 7,7 pour cent par rapport à l’année précédente, atteignant 0,3 pour cent du revenu national brut, sa proportion la plus élevée depuis 2012, dont 350 millions de dollars pour les activités liées à la COVID. Le budget fédéral 2021 a annoncé un montant supplémentaire de 1,4 milliard de dollars pour l’aide internationale sur cinq ans. L’observateur moyen pourrait être optimiste quant à l’avenir de l’aide canadienne.

Toutefois, un examen plus approfondi des tendances récentes et du dernier budget fédéral révèle une image plus sombre. Le Canada est à la traîne en matière d’aide internationale et l’augmentation actuelle ne suffira pas à changer cette situation, d’autant plus qu’elle n’est que temporaire, portant surtout sur les deux prochaines années.

La pandémie actuelle a gâché des années de progrès en matière de développement, dans certains cas une décennie ou plus. Selon les chiffres de la Banque mondiale, la crise mondiale avait déjà fait basculer une centaine de millions de personnes dans l’extrême pauvreté fin 2020, et cela pourrait atteindre le chiffre stupéfiant d’un milliard en 2030. Le Canada pourra peut-être parler d’une entrée dans une phase post-pandémie d’ici l’année prochaine, mais l’impact de la COVID sur les pays en développement durera bien plus longtemps. La crise appelle à un réengagement soutenu, sur une décennie, en faveur du développement international, et non à une augmentation temporaire de deux ans du financement.

Deux caractéristiques ressortent immédiatement de la liste des initiatives présentées dans le budget concernant l’aide au développement. Premièrement, il donne la priorité à l’aide d’urgence plutôt qu’à l’aide à long terme. En effet, il alloue 165 millions de dollars supplémentaires à l’aide humanitaire, mais uniquement pour l’exercice en cours, ainsi que 288 millions de dollars à la crise des Rohingyas et 80 millions de dollars à la crise vénézuélienne au cours des deux à trois prochaines années. Cet accent mis sur les réponses d’urgence, bien qu’elles soient d’une importance cruciale, démontre une préférence pour les activités « signature » très visibles et télégéniques au détriment de partenariats solides à moyen et long terme pour le développement durable qui seront essentiels pour réduire et finalement éliminer la pauvreté. Le gouvernement opte pour des solutions rapides de fortune au lieu d’une transformation structurelle plus ambitieuse.

Deuxièmement, les autres initiatives d’aide internationale dans le budget impliquent presque toutes de transférer des fonds à de grandes institutions financières multilatérales – la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et la Banque africaine de développement –, qui accordent des prêts aux pays en développement. Le Canada n’a recommencé que récemment à accorder des prêts pour l’aide au développement, après avoir abandonné cette pratique il y a plusieurs décennies. Déjà, en 2020, les contributions remboursables ont atteint 10 pour cent de l’aide publique au développement. À l’heure où les pays à revenu faible et moyen sont de plus en plus confrontés à une nouvelle crise de la dette, accélérée par la COVID, l’aide remboursable — contrairement aux dons — semble être une priorité inopportune. De plus, ces initiatives multilatérales cherchent toutes à promouvoir le rôle du secteur privé, alors que la pandémie actuelle a révélé l’importance de la capacité de l’État, tant dans les pays du Nord que dans ceux du Sud.

Aucun signe dans le document budgétaire n’indique que le gouvernement canadien souhaite intensifier son travail avec les pays partenaires à l’international, ainsi qu’avec les organisations de la société civile canadienne et locale. Pourquoi le gouvernement semble-t-il préférer soutenir les réponses d’urgence à court terme et signer des chèques pour des contributions ponctuelles aux organisations financières internationales ?

Une partie de la réponse réside peut-être dans un manque de confiance dans la capacité d’Affaires mondiales Canada à mener les efforts de développement en partenariat avec les organisations de la société civile. Il est vrai que les capacités du gouvernement canadien en matière de développement se sont atrophiés, même avant que l’Agence canadienne de développement international (ACDI) ne soit fusionnée avec les autres filières internationales sous le chapeau de ce qu’on appelle aujourd’hui Affaires mondiales Canada (AMC). Cependant, l’érosion de la capacité d’AMC est le résultat de politiques délibérées qui ont commencé sous le gouvernement conservateur du premier ministre Stephen Harper, si ce n’est plus tôt. Jusqu’à présent, les libéraux de Justin Trudeau semblent peu enclins à inverser la tendance et à réinvestir dans les ressources humaines et financières d’AMC.

L’absence de ressources supplémentaires substantielles pour l’aide au développement reflète un manque de volonté politique.

Sous le premier ministre libéral Paul Martin, le Canada s’est engagé à doubler l’aide étrangère à l’Afrique entre 2005 et 2008, une promesse qui a été tenue par le gouvernement conservateur de Stephen Harper, bien que ce dernier ait ensuite procédé à des coupes budgétaires. Les libéraux de Trudeau ne se sont jamais engagés à rétablir l’aide aux niveaux antérieurs, et ont encore moins aspiré à des augmentations significatives. En 2016, ils ont déclaré qu’allouer 0,7 pour cent du PIB du Canada à l’aide internationale — l’objectif affiché par l’ONU — n’était « pas réaliste comme objectif à court terme dans le contexte fiscal actuel ». Cependant, au cours de la dernière année, ils ont réussi à mobiliser des centaines de milliards de dollars pour la réponse nationale à la COVID. L’absence de ressources supplémentaires substantielles pour l’aide au développement reflète un manque de volonté politique, et non l’impossibilité de trouver quelques milliards de dollars supplémentaires.

De plus, l’engagement dérisoire envers l’aide au développement dans le budget fédéral mine la propre Politique d’aide internationale féministe (PAIF) du gouvernement libéral, adoptée en 2017. Le financement a toujours été le talon d’Achille de la PAIF, minant sa capacité à traduire un langage audacieux sur l’égalité des genres et les droits des femmes en actions sur le terrain. Le budget ne prévoit pas de ressources supplémentaires considérables pour faire avancer ces priorités, et une grande partie de l’argent dépensé ira à des institutions financières internationales qui ne tiennent pas compte de la PAIF dans leur travail.

En somme, le budget ne renforce que temporairement l’aide au développement canadienne, malgré la nécessité d’un réengagement robuste dans le monde, rendu d’autant plus urgent par la crise de développement persistante liée à la COVID. Il favorise l’aide d’urgence à court terme au détriment de la réduction de la pauvreté à long terme, met l’accent sur les prêts plutôt que sur les dons et le renforcement des partenariats et accorde une grande importance au rôle du secteur privé et des agences multilatérales dont les activités peuvent ne pas correspondre à la propre Politique d’aide internationale féministe du gouvernement.

Il semble que le gouvernement préfère contribuer ponctuellement aux appels d’urgence et aux budgets des organisations financières internationales plutôt que d’investir dans Affaires mondiales Canada et de lui faire confiance pour dépenser judicieusement cet argent par le biais de partenariats durables et de programmes à plus long terme qui permettraient non seulement de réduire la pauvreté, mais aussi de promouvoir des changements structurels pour éventuellement l’éliminer. Le gouvernement canadien, en dépit du soutien rhétorique qu’il lui apporte, ne croit-il pas vraiment à l’importance du développement international ? Son dernier budget est certainement de mauvais augure pour l’avenir de l’aide au développement canadienne et de l’engagement du Canada dans le défi urgent, crucial et partagé du développement à l’échelle mondiale.


Cet article a été publié pour la première fois sur Open Canada

Stephen Brown
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Le Canada tient de beaux discours en matière d’aide au développement. Des gouvernements canadiens successifs se vantent des mérites de leurs nouvelles initiatives aux airs impressionnants et du rôle de leadership du pays sur la scène mondiale. Plus récemment, le gouvernement Trudeau a souligné l’importance de l’aide liée à la pandémie dans les pays à


Le Canada tient de beaux discours en matière d’aide au développement. Des gouvernements canadiens successifs se vantent des mérites de leurs nouvelles initiatives aux airs impressionnants et du rôle de leadership du pays sur la scène mondiale. Plus récemment, le gouvernement Trudeau a souligné l’importance de l’aide liée à la pandémie dans les pays à revenu faible et intermédiaire, et Justin Trudeau lui-même a mené l’appel en faveur d’un « accès égal à un vaccin contre la COVID-19 au niveau mondial ».


À première vue, la rhétorique du gouvernement actuel concernant l’aide au développement semble être soutenue par des ressources financières. Par exemple, en 2020, l’aide publique au développement du Canada a augmenté de 7,7 pour cent par rapport à l’année précédente, atteignant 0,3 pour cent du revenu national brut, sa proportion la plus élevée depuis 2012, dont 350 millions de dollars pour les activités liées à la COVID. Le budget fédéral 2021 a annoncé un montant supplémentaire de 1,4 milliard de dollars pour l’aide internationale sur cinq ans. L’observateur moyen pourrait être optimiste quant à l’avenir de l’aide canadienne.

Toutefois, un examen plus approfondi des tendances récentes et du dernier budget fédéral révèle une image plus sombre. Le Canada est à la traîne en matière d’aide internationale et l’augmentation actuelle ne suffira pas à changer cette situation, d’autant plus qu’elle n’est que temporaire, portant surtout sur les deux prochaines années.

La pandémie actuelle a gâché des années de progrès en matière de développement, dans certains cas une décennie ou plus. Selon les chiffres de la Banque mondiale, la crise mondiale avait déjà fait basculer une centaine de millions de personnes dans l’extrême pauvreté fin 2020, et cela pourrait atteindre le chiffre stupéfiant d’un milliard en 2030. Le Canada pourra peut-être parler d’une entrée dans une phase post-pandémie d’ici l’année prochaine, mais l’impact de la COVID sur les pays en développement durera bien plus longtemps. La crise appelle à un réengagement soutenu, sur une décennie, en faveur du développement international, et non à une augmentation temporaire de deux ans du financement.

Deux caractéristiques ressortent immédiatement de la liste des initiatives présentées dans le budget concernant l’aide au développement. Premièrement, il donne la priorité à l’aide d’urgence plutôt qu’à l’aide à long terme. En effet, il alloue 165 millions de dollars supplémentaires à l’aide humanitaire, mais uniquement pour l’exercice en cours, ainsi que 288 millions de dollars à la crise des Rohingyas et 80 millions de dollars à la crise vénézuélienne au cours des deux à trois prochaines années. Cet accent mis sur les réponses d’urgence, bien qu’elles soient d’une importance cruciale, démontre une préférence pour les activités « signature » très visibles et télégéniques au détriment de partenariats solides à moyen et long terme pour le développement durable qui seront essentiels pour réduire et finalement éliminer la pauvreté. Le gouvernement opte pour des solutions rapides de fortune au lieu d’une transformation structurelle plus ambitieuse.

Deuxièmement, les autres initiatives d’aide internationale dans le budget impliquent presque toutes de transférer des fonds à de grandes institutions financières multilatérales – la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et la Banque africaine de développement –, qui accordent des prêts aux pays en développement. Le Canada n’a recommencé que récemment à accorder des prêts pour l’aide au développement, après avoir abandonné cette pratique il y a plusieurs décennies. Déjà, en 2020, les contributions remboursables ont atteint 10 pour cent de l’aide publique au développement. À l’heure où les pays à revenu faible et moyen sont de plus en plus confrontés à une nouvelle crise de la dette, accélérée par la COVID, l’aide remboursable — contrairement aux dons — semble être une priorité inopportune. De plus, ces initiatives multilatérales cherchent toutes à promouvoir le rôle du secteur privé, alors que la pandémie actuelle a révélé l’importance de la capacité de l’État, tant dans les pays du Nord que dans ceux du Sud.

Aucun signe dans le document budgétaire n’indique que le gouvernement canadien souhaite intensifier son travail avec les pays partenaires à l’international, ainsi qu’avec les organisations de la société civile canadienne et locale. Pourquoi le gouvernement semble-t-il préférer soutenir les réponses d’urgence à court terme et signer des chèques pour des contributions ponctuelles aux organisations financières internationales ?

Une partie de la réponse réside peut-être dans un manque de confiance dans la capacité d’Affaires mondiales Canada à mener les efforts de développement en partenariat avec les organisations de la société civile. Il est vrai que les capacités du gouvernement canadien en matière de développement se sont atrophiés, même avant que l’Agence canadienne de développement international (ACDI) ne soit fusionnée avec les autres filières internationales sous le chapeau de ce qu’on appelle aujourd’hui Affaires mondiales Canada (AMC). Cependant, l’érosion de la capacité d’AMC est le résultat de politiques délibérées qui ont commencé sous le gouvernement conservateur du premier ministre Stephen Harper, si ce n’est plus tôt. Jusqu’à présent, les libéraux de Justin Trudeau semblent peu enclins à inverser la tendance et à réinvestir dans les ressources humaines et financières d’AMC.

L’absence de ressources supplémentaires substantielles pour l’aide au développement reflète un manque de volonté politique.

Sous le premier ministre libéral Paul Martin, le Canada s’est engagé à doubler l’aide étrangère à l’Afrique entre 2005 et 2008, une promesse qui a été tenue par le gouvernement conservateur de Stephen Harper, bien que ce dernier ait ensuite procédé à des coupes budgétaires. Les libéraux de Trudeau ne se sont jamais engagés à rétablir l’aide aux niveaux antérieurs, et ont encore moins aspiré à des augmentations significatives. En 2016, ils ont déclaré qu’allouer 0,7 pour cent du PIB du Canada à l’aide internationale — l’objectif affiché par l’ONU — n’était « pas réaliste comme objectif à court terme dans le contexte fiscal actuel ». Cependant, au cours de la dernière année, ils ont réussi à mobiliser des centaines de milliards de dollars pour la réponse nationale à la COVID. L’absence de ressources supplémentaires substantielles pour l’aide au développement reflète un manque de volonté politique, et non l’impossibilité de trouver quelques milliards de dollars supplémentaires.

De plus, l’engagement dérisoire envers l’aide au développement dans le budget fédéral mine la propre Politique d’aide internationale féministe (PAIF) du gouvernement libéral, adoptée en 2017. Le financement a toujours été le talon d’Achille de la PAIF, minant sa capacité à traduire un langage audacieux sur l’égalité des genres et les droits des femmes en actions sur le terrain. Le budget ne prévoit pas de ressources supplémentaires considérables pour faire avancer ces priorités, et une grande partie de l’argent dépensé ira à des institutions financières internationales qui ne tiennent pas compte de la PAIF dans leur travail.

En somme, le budget ne renforce que temporairement l’aide au développement canadienne, malgré la nécessité d’un réengagement robuste dans le monde, rendu d’autant plus urgent par la crise de développement persistante liée à la COVID. Il favorise l’aide d’urgence à court terme au détriment de la réduction de la pauvreté à long terme, met l’accent sur les prêts plutôt que sur les dons et le renforcement des partenariats et accorde une grande importance au rôle du secteur privé et des agences multilatérales dont les activités peuvent ne pas correspondre à la propre Politique d’aide internationale féministe du gouvernement.

Il semble que le gouvernement préfère contribuer ponctuellement aux appels d’urgence et aux budgets des organisations financières internationales plutôt que d’investir dans Affaires mondiales Canada et de lui faire confiance pour dépenser judicieusement cet argent par le biais de partenariats durables et de programmes à plus long terme qui permettraient non seulement de réduire la pauvreté, mais aussi de promouvoir des changements structurels pour éventuellement l’éliminer. Le gouvernement canadien, en dépit du soutien rhétorique qu’il lui apporte, ne croit-il pas vraiment à l’importance du développement international ? Son dernier budget est certainement de mauvais augure pour l’avenir de l’aide au développement canadienne et de l’engagement du Canada dans le défi urgent, crucial et partagé du développement à l’échelle mondiale.


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