L’assassinat du Président Moise, son contexte et les scénarios pour Haïti

L’assassinat du Président Moise, son contexte et les scénarios pour Haïti
By <a rel="nofollow" class="external text" href="https://www.flickr.com/people/50197436@N08">Ministerio de Relaciones Exteriores</a> from Perú - <a rel="nofollow" class="external free" href="https://www.flickr.com/photos/cancilleriadeperu/40563706515/">https://www.flickr.com/photos/cancilleriadeperu/40563706515/</a>, CC BY-SA 2.0, Link

Dans la nuit du mardi 6 au mercredi 7 juillet 2021, un groupe d’hommes armés attaque le domicile du Président d’Haïti Jovenel Moise, l’assassine et laisse la Première Dame avec de graves blessures.  Les premières informations venant du Premier Ministre par intérim, Claude Joseph, laissent comprendre que l’exécution du Président est l’œuvre d’un commando professionnel, composé


Dans la nuit du mardi 6 au mercredi 7 juillet 2021, un groupe d’hommes armés attaque le domicile du Président d’Haïti Jovenel Moise, l’assassine et laisse la Première Dame avec de graves blessures.  Les premières informations venant du Premier Ministre par intérim, Claude Joseph, laissent comprendre que l’exécution du Président est l’œuvre d’un commando professionnel, composé de personnes parlant anglais et espagnol.


Si la classe politique et les institutions de la société civile restent prudentes dans leurs réactions, en se contentant de condamner l’assassinat, les membres de la population, commentent les faits dans leurs quartiers et sur les médias sociaux.

La conscience de la vulnérabilité de l’ensemble des citoyens parait évidente, par rapport au facile accès des criminels au premier citoyen de la nation. En sachant qu’une réponse aux questions qui circulent au sujet des auteurs du crime devra attendre la conclusion des enquêtes en cours, nous nous penchons sur les questions suivantes : Quel contexte a facilité ce crime? Quelles sont les options des Haïtiens et de leurs partenaires internationaux, pour trouver une issue aux multiples crises qui affligent le pays? 


!!! Le blog du CEPI a été classé parmi les 40 meilleurs blogs et sites web de politique étrangère à suivre en 2021 !!!


L’ascension du Président Moise au pouvoir le 7 févier 2017, a lieu dans un contexte où sa légitimité est largement questionnée puisqu’il n’a reçu que 21 % du vote populaire. Il fait vite face au mouvement ‘’Petro Caribe Challenge’’, une vaste mouvance contre la corruption et la vie chère, alimentée par les médias sociaux et par l’opposition. Les accusations de détournement des fonds du Venezuela, contre M. Moise ainsi que des ministres et des hauts fonctionnaires des administrations antérieures, sont appuyées par des rapports détaillés de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, ainsi que du Sénat. 

Dans ce contexte, la décision du Président de ne pas organiser des élections en 2018 et 2019 pour renouvelerle Sénat et la Chambre des députés, renforce les hostilités de part et d’autre. En janvier 2020, le Président constate la caducité du Sénat et de la Chambre des députés ; il commence à diriger par décret. L’opposition et maintes organisations de la société civile dénoncent ce mode de gouvernance, que certains qualifient de « dérive autoritaire » et même de « dictature ». La confusion autour de la date du 7 février 2021 ou 2022 pour la fin du mandat du Président, le pullulement des gangs armés, le kidnapping, le meurtre de notables, de journalistes et de citoyens communs, la mobilisation de l’opposition et l’irresponsabilité de l’État face à la COVID, sont les faits qui marquent les dernières années de la mandature de Jovenel Moise.

Au milieu des constations et en dépit des difficultés de trouver un accord avec l’opposition sur les modalités des élections et d’un referendum constitutionnel, le 5 juillet 2021, le Président publie un Décret électoral avec un nouveau calendrier électoral et référendaire. Selon la Constitution, les élections doivent être organisées par le Conseil électoral provisoire, mais les dirigeants de cette institution, nommés par le Président en 2019, sont profondément contestés. En même temps il nomme Ariel Henry comme nouveau Premier Ministre.Malheureusement, le Président Moise est assassiné le lendemain sans avoir pu mettre en fonction le Premier Ministre nommé, le docteur Ariel Henry. Un débat très tendu, en ce moment, porte sur qui devrait diriger l’État puisque le Premier Ministre par intérim Joseph prétend assurer la continuité, tandis que le Premier Ministre désigné Henry n’a pas pu reprendre les rênes du pouvoir. 

L’assassinat du Président Moise est perpétré dans un contexte où Haïti est en proie plus que jamais à de graves crises institutionnelles. Comment assurer la continuité de l’État en n’aggravant pas beaucoup plus la fracture sociale ? C’est cette énigme que les acteurs haïtiens et leurs partenaires internationaux doivent résoudre afin d’éviter le chaos. 

Malgré la situation chaotique et les débats juridiques, le 8 juillet 2021 Mme Hélène La Lime, Représentante spéciale du Secrétaire Général des Nations Unies en Haïti, confirme le mandat de Claude Joseph à titre de Premier Ministre de facto. Elle accueille sa promesse d’organiser les élections en septembre et en novembre 2021. Elle confirme l’appui des Nations Unies à l’enquête sur l’assassinat du Président ainsi qu’à l’organisation des élections. Finalement, Mme La Lime demande aux parties prenantes haïtiennes d’entabler un dialogue pour faciliter la tenue des élections et la solution pacifique des défis auxquels le pays fait face. 

L’assassinat du Président Moise est perpétré dans un contexte où Haïti est en proie plus que jamais à de graves crises institutionnelles.

Pour l’instant, le calme règne dans les rues et le redéploiement massif de forces des Nations Unies (ou des États « amis » comme les États-Unis, le Canada et la France, comme en 2004) semble peu probable. Par contre, le scénario envisagé par M. Joseph et par Mme La Lime reste problématique. Compte tenu du manque de légitimité du Premier Ministre de facto, la fragmentation de l’opposition, la probable résurgence des activités criminelles des gangs et des pillages populaires, il est peu probable que les conditions minimes soient réunies pour tenir des élections crédibles en 2021. 

L’organisation d’un dialogue inclusif sous l’égide des églises et d’autres institutions nationales crédibles, menant à la recomposition du Conseil électoral provisoire, éventuellement à des élections crédibles et un gouvernement complet (soit avec un Président, un Sénat et une Chambre des députés légitimes), semblent incontournables pour sortir le pays de l’impasse dans laquelle il se trouve encore aujourd’hui.


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Dans la nuit du mardi 6 au mercredi 7 juillet 2021, un groupe d’hommes armés attaque le domicile du Président d’Haïti Jovenel Moise, l’assassine et laisse la Première Dame avec de graves blessures.  Les premières informations venant du Premier Ministre par intérim, Claude Joseph, laissent comprendre que l’exécution du Président est l’œuvre d’un commando professionnel, composé de personnes parlant anglais et espagnol.


Si la classe politique et les institutions de la société civile restent prudentes dans leurs réactions, en se contentant de condamner l’assassinat, les membres de la population, commentent les faits dans leurs quartiers et sur les médias sociaux.

La conscience de la vulnérabilité de l’ensemble des citoyens parait évidente, par rapport au facile accès des criminels au premier citoyen de la nation. En sachant qu’une réponse aux questions qui circulent au sujet des auteurs du crime devra attendre la conclusion des enquêtes en cours, nous nous penchons sur les questions suivantes : Quel contexte a facilité ce crime? Quelles sont les options des Haïtiens et de leurs partenaires internationaux, pour trouver une issue aux multiples crises qui affligent le pays? 


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L’ascension du Président Moise au pouvoir le 7 févier 2017, a lieu dans un contexte où sa légitimité est largement questionnée puisqu’il n’a reçu que 21 % du vote populaire. Il fait vite face au mouvement ‘’Petro Caribe Challenge’’, une vaste mouvance contre la corruption et la vie chère, alimentée par les médias sociaux et par l’opposition. Les accusations de détournement des fonds du Venezuela, contre M. Moise ainsi que des ministres et des hauts fonctionnaires des administrations antérieures, sont appuyées par des rapports détaillés de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, ainsi que du Sénat. 

Dans ce contexte, la décision du Président de ne pas organiser des élections en 2018 et 2019 pour renouvelerle Sénat et la Chambre des députés, renforce les hostilités de part et d’autre. En janvier 2020, le Président constate la caducité du Sénat et de la Chambre des députés ; il commence à diriger par décret. L’opposition et maintes organisations de la société civile dénoncent ce mode de gouvernance, que certains qualifient de « dérive autoritaire » et même de « dictature ». La confusion autour de la date du 7 février 2021 ou 2022 pour la fin du mandat du Président, le pullulement des gangs armés, le kidnapping, le meurtre de notables, de journalistes et de citoyens communs, la mobilisation de l’opposition et l’irresponsabilité de l’État face à la COVID, sont les faits qui marquent les dernières années de la mandature de Jovenel Moise.

Au milieu des constations et en dépit des difficultés de trouver un accord avec l’opposition sur les modalités des élections et d’un referendum constitutionnel, le 5 juillet 2021, le Président publie un Décret électoral avec un nouveau calendrier électoral et référendaire. Selon la Constitution, les élections doivent être organisées par le Conseil électoral provisoire, mais les dirigeants de cette institution, nommés par le Président en 2019, sont profondément contestés. En même temps il nomme Ariel Henry comme nouveau Premier Ministre.Malheureusement, le Président Moise est assassiné le lendemain sans avoir pu mettre en fonction le Premier Ministre nommé, le docteur Ariel Henry. Un débat très tendu, en ce moment, porte sur qui devrait diriger l’État puisque le Premier Ministre par intérim Joseph prétend assurer la continuité, tandis que le Premier Ministre désigné Henry n’a pas pu reprendre les rênes du pouvoir. 

L’assassinat du Président Moise est perpétré dans un contexte où Haïti est en proie plus que jamais à de graves crises institutionnelles. Comment assurer la continuité de l’État en n’aggravant pas beaucoup plus la fracture sociale ? C’est cette énigme que les acteurs haïtiens et leurs partenaires internationaux doivent résoudre afin d’éviter le chaos. 

Malgré la situation chaotique et les débats juridiques, le 8 juillet 2021 Mme Hélène La Lime, Représentante spéciale du Secrétaire Général des Nations Unies en Haïti, confirme le mandat de Claude Joseph à titre de Premier Ministre de facto. Elle accueille sa promesse d’organiser les élections en septembre et en novembre 2021. Elle confirme l’appui des Nations Unies à l’enquête sur l’assassinat du Président ainsi qu’à l’organisation des élections. Finalement, Mme La Lime demande aux parties prenantes haïtiennes d’entabler un dialogue pour faciliter la tenue des élections et la solution pacifique des défis auxquels le pays fait face. 

L’assassinat du Président Moise est perpétré dans un contexte où Haïti est en proie plus que jamais à de graves crises institutionnelles.

Pour l’instant, le calme règne dans les rues et le redéploiement massif de forces des Nations Unies (ou des États « amis » comme les États-Unis, le Canada et la France, comme en 2004) semble peu probable. Par contre, le scénario envisagé par M. Joseph et par Mme La Lime reste problématique. Compte tenu du manque de légitimité du Premier Ministre de facto, la fragmentation de l’opposition, la probable résurgence des activités criminelles des gangs et des pillages populaires, il est peu probable que les conditions minimes soient réunies pour tenir des élections crédibles en 2021. 

L’organisation d’un dialogue inclusif sous l’égide des églises et d’autres institutions nationales crédibles, menant à la recomposition du Conseil électoral provisoire, éventuellement à des élections crédibles et un gouvernement complet (soit avec un Président, un Sénat et une Chambre des députés légitimes), semblent incontournables pour sortir le pays de l’impasse dans laquelle il se trouve encore aujourd’hui.


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