Le 16 novembre 2022, le Réseau de recherche sur les États fragiles (du CÉPI) et le Centre de recherche interdisciplinaire et de valorisation des savoirs en Haïti (CRIVASH), à l’Université d’Ottawa, ont accueilli un webinaire pour explorer la question évoquée par le titre de ce blogue. Quatre panélistes venant d’horizons divers ont partagé leurs regards
Le 16 novembre 2022, le Réseau de recherche sur les États fragiles (du CÉPI) et le Centre de recherche interdisciplinaire et de valorisation des savoirs en Haïti (CRIVASH), à l’Université d’Ottawa, ont accueilli un webinaire pour explorer la question évoquée par le titre de ce blogue.
Quatre panélistes venant d’horizons divers ont partagé leurs regards croisés : Ilionor Louis, professeur à l’Université d’État d’Haïti et directeur du Centre Égalité pour la Connaissance, la Communication et la Liberté (ECCEL) à Port-au-Prince; Youdeline Chérizard, juriste et secrétaire générale adjointe de la Fédération des Barreaux d’Haïti, basée à Gonaïves; Sébastien Carrière, ambassadeur du Canada en Haïti; ainsi que Chantal Ismé, militante féministe, chercheure communautaire et membre de la Coalition haïtienne au Canada contre la dictature en Haïti (CHCDH).
Tous et toutes s’accordaient pour dire que malgré certaines avancées, la crise multi-dimensionnelle en Haïti perdure. Certes, la Police Nationale a évacué les gangs du terminal pétrolier de Varreux, mais les meurtres et les enlèvements continuent à un rythme alarmant : dans son dernier rapport au Conseil de sécurité, le Secrétaire général des Nations Unies indiquait qu’il y avait eu presque 900 enlèvements dans les premiers huit mois de 2022. Les écoles et les universités restent fermées. Les prix du pétrole et des denrées alimentaires restent hors de portée pour la majorité des familles, aggravant ainsi la crise alimentaire affectant environ 45% de la population. Les femmes, les filles, les personnes handicapées et d’autres secteurs de la population sont particulièrement affectés par ces violences physiques et structurelles.
L’ambassadeur Carrière suggérait néanmoins que le renforcement de la Police Nationale et les sanctions imposées par le Canada et les États-Unis (sur la base de la résolution 2653 du Conseil de sécurité des Nations Unies) contre les dirigeants de gangs et des hauts politiciens accusés de complicité avec les réseaux criminels, sont des avancées qui donnent de l’oxygène à la construction d’une solution haïtienne.
Tous et toutes partageaient l’opinion qu’une telle solution, vitale pour renforcer la souveraineté d’Haïti, dépend de négociations, en toute bonne foi, entre les parties prenantes. Certain.e.s ont souligné l’importance d’inclure les représentants de la société civile organisée y compris des personnes handicapées, des partis d’opposition et de la coalition au pouvoir. Madame Ismé a questionné la pertinence de négocier avec un premier ministre non élu, soutenu par un parti accusé d’avoir collaboré avec des gangs. Professeur Louis a souligné la faible légitimité de toute la classe politique. Néanmoins, certain.e.s ont insisté sur l’importance d’un dialogue qui pourrait déboucher sur une feuille de route pour une transition négociée, un nouveau Conseil électoral provisoire et l’éventuelle élection d’un gouvernement qui posséderait la légitimité requise pour diriger la refonte des institutions et de l’économie. Selon Madame Ismé, l’Accord de Montana offre encore une base pour la négociation de cette feuille de route; selon Maitre Chérizard, il serait pertinent de négocier une fusion entre cet accord et ceux proposés par d’autres secteurs.
Tous et toutes s’accordaient pour dire que malgré certaines avancées, la crise multi-dimensionnelle en Haïti perdure.
La politique du Canada envers Haïti a aussi fait l’objet de débats. Pour certain.e.s panélistes, l’appui inconditionnel d’Ottawa au gouvernement de facto et à ses prédécesseurs, y compris à l’élection fort problématique du Président Martelly en 2011, a grandement miné la réputation du Canada en Haïti. Pour sa part, l’ambassadeur Carrière a mis l’accent sur le tournant pris par Ottawa depuis le début de 2022, avec l’implication directe du premier ministre Trudeau et de la ministre Joly, l’engagement diplomatique dans les négociations aux Nations Unies, les consultations continues avec un large éventail des parties prenantes en Haïti, le renforcement des capacités de la Police Nationale, les sanctions ciblées contre des hauts dirigeants accusés de collusion avec les gangs, etc. Professeur Louis a noté son appréciation pour ce tournant politique et surtout pour l’accent que le Canada met sur une solution haïtienne, tout en rappelant que « la population ne peut pas attendre plus longtemps » pour ladite solution nationale.
Plusieur.e.s panélistes ont souligné l’importance, pour le Canada, de maintenir le cap en résistant aux chants des sirènes qui invitent à une nouvelle intervention internationale musclée. Certain.es ont suggéré d’élargir les sanctions contre les dirigeants des gangs et des politiciens qui les appuient. Tous et toutes ont validé la pertinence d’appuyer les efforts authentiques pour construire des solutions haïtiennes dans les domaines clés de la politique, la sécurité et la justice. Madame Ismé a recommandé qu’Ottawa se distancie plus clairement du gouvernement de facto et prépare le terrain pour accompagner les éventuels efforts de revitalisation socioéconomique. Plusieurs panélistes, notamment Maitre Chérizard, ont souligné l’importance pour le Canada de ne pas intervenir dans le futur processus électoral et plutôt de se réinvestir dans la réforme des institutions de justice pour mettre fin a l’impunité qui gangrène le pays.
Nous espérons vivement que ces échanges entre des panélistes sélectionné.e.s pour leurs fines connaissances, la diversité de leurs regards et leur écoute à l’égard d’autres points de vue, puisse contribuer à la construction collective d’une solution haïtienne, plutôt qu’une solution pour Haïti, comme l’a si bien dit professeur Louis.