Il y a cinq ans, le Cameroun a organisé un grand dialogue national pour résoudre la crise anglophone du pays – un conflit armé qui a tué des centaines de personnes, en a déplacé des milliers d’autres, a entraîné des violences sexuelles contre les femmes et a forcé de nombreux enfants à quitter l’école. Le
Il y a cinq ans, le Cameroun a organisé un grand dialogue national pour résoudre la crise anglophone du pays – un conflit armé qui a tué des centaines de personnes, en a déplacé des milliers d’autres, a entraîné des violences sexuelles contre les femmes et a forcé de nombreux enfants à quitter l’école. Le dialogue a rassemblé des milliers de Camerounais pour tracer la voie vers une paix durable. Cependant, le manque de cohésion sociale, ainsi que l’insuffisance des mesures d’inclusion et de renforcement de la confiance ont jeté des doutes sur ses résultats. Le président Biya, principal organisateur du dialogue, a été remarquablement absent tout au long du processus. Les principaux leaders séparatistes, dans le pays et à l’étranger, ont également boycotté les discussions. L’absence de ces acteurs clés a été un point de discorde, alimentant les doutes sur l’efficacité du dialogue.
Des dizaines de résolutions ont été prises au cours du dialogue national, notamment l’adoption d’un statut spécial pour les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, la restauration de la maison des chefs et la réintégration rapide des ex-combattants dans la société, entre autres. Le décret présidentiel n° 2020/136 a créé un comité de suivi de la mise en œuvre des résolutions du dialogue le 23 mars 2020. Depuis lors, le Premier ministre du Cameroun, Joseph Dion Ngute, a mené des efforts et présidé différentes réunions de mise en œuvre du dialogue, comme celle qui s’est tenue à Buea en 2023, afin d’évaluer les progrès accomplis dans la mise en œuvre des résultats du dialogue. Malgré ces efforts, des organisations influentes de la société civile camerounaise continuent d’appeler à un dialogue national plus inclusif.
Le vendredi 4 octobre 2024, la chaîne de télévision de la Présidence de la République du Cameroun, PRC TV, a organisé un débat intitulé « Le Président Paul BIYA, le Grand Dialogue National et la résolution de la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ». L’objectif du débat était d’analyser les efforts de mise en œuvre des résultats du dialogue au cours de la première édition de « Face à la République », en se concentrant sur les efforts du gouvernement dans le cadre du grand dialogue national du Cameroun. Malgré le battage médiatique, des leaders influents de l’opposition camerounaise déplorent le manque de volonté politique dans la résolution de la crise, qualifiant de fausses et trompeuses les affirmations du gouvernement selon lesquelles tout est sous contrôle. Un utilisateur de X (anciennement Twitter), réagissant à l’émission télévisée célébrant le cinquième anniversaire du dialogue, a qualifié les analyses du débat de « deep faking reality » (la réalité en creux).
Les problèmes persistants éclipsent la célébration des résultats du dialogue
De nombreuses personnes dans les régions du nord-ouest et du sud-ouest du Cameroun continuent de vivre dans la peur, malgré les déclarations de Biya et de ses partisans selon lesquelles la situation est sous contrôle. Les séparatistes armés continuent de démontrer leur force, utilisant des menaces pour imposer des bouclages, comme on l’a vu le 1er octobre, lors d’une célébration de la fête de l’indépendance supposée de l’« Ambazonie ». Ces événements ont eu lieu à la veille du cinquième anniversaire du grand dialogue national. Les activistes de la société civile dans les régions anglophones ont également affirmé que la diminution de l’intensité de la violence est le résultat du manque de coordination entre les groupes armés et d’un changement de stratégie militaire, plutôt que les effets du dialogue national de Biya. Réagissant à cette célébration sur X/Twitter, un ancien secrétaire d’État adjoint américain pour l’Afrique a commenté : « 1er octobre De nombreux Camerounais du Sud commémorent le 63e « jour de l’indépendance » de l’Ambazonie, date à laquelle les Camerounais du Sud ont rejoint l’ancien Cameroun français au sein d’une fédération. Une fois que les Ambazoniens auront organisé un référendum et décidé de leur propre avenir, il y aura probablement une nouvelle date à célébrer ! ». La persistance de la peur et de l’insécurité dans les régions anglophones du Cameroun, malgré les résultats obtenus jusqu’à présent par le dialogue national, suggère que ses conclusions n’ont pas abordé de manière adéquate les causes sous-jacentes du conflit.
L’octroi d’un statut spécial aux deux régions anglophones, la création de la maison des chefs, l’établissement d’une section de droit commun à l’École nationale de la magistrature et l’allocation d’un budget pour la reconstruction sont autant de mesures qui ont été mises en œuvre et utilisées pour stimuler le processus de dialogue. Pourtant, la persistance de la marginalisation et l’exclusion d’individus méritants de ces structures au profit des sympathisants du parti au pouvoir de Biya ont renforcé les affirmations sur les causes structurelles de la crise anglophone au Cameroun. Ainsi, pour que la mise en œuvre des résultats du dialogue soit couronnée de succès, ces questions doivent être traitées de manière adéquate.
En outre, le processus de décentralisation au Cameroun est encore loin d’être réalisé, bien qu’une commission ait été spécifiquement créée pour discuter de cette question au cours du processus de dialogue. La question du fédéralisme, que de nombreux groupes de la société civile ont préconisé comme solution au conflit, a été considérée comme un sujet tabou au cours du dialogue. Cela a eu pour conséquence la persistance d’une représentation politique inadéquate et d’une distribution inéquitable des ressources. C’est pourquoi, alors que l’on célèbre le cinquième anniversaire, les groupes de la société civile continuent de réclamer un dialogue plus inclusif, sans sujets tabous.
Quelle est la prochaine étape ?
Bien qu’elle ne soit pas directement liée au dialogue national, l’arrestation d’un leader séparatiste influent, M. Ayaba Cho Lucas, en Norvège, quelques jours avant la célébration du cinquième anniversaire du dialogue national, envoie un message fort aux extrémistes et aux incitateurs à la violence. L’arrestation de M. Cho pourrait créer un espace permettant aux voix modérées au sein du mouvement séparatiste de se manifester et de s’engager dans un processus de dialogue pacifique. Cela pourrait servir de catalyseur à un engagement international accru et à une pression sur le Cameroun pour faciliter un dialogue national plus inclusif et productif.
Les amis du Cameroun en Afrique et au-delà devraient faire pression sur le gouvernement et les séparatistes pour un dialogue national plus inclusif. Un tel processus devrait inclure la société civile, les femmes et d’autres groupes politiquement marginalisés. Ceci est crucial pour éviter de répéter les limites du dialogue de 2019, où la participation et la direction des commissions de dialogue étaient largement limitées aux membres du parti de Biya, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), et à certains groupes de femmes et de la société civile parrainés par le parti.
Ce blog a été publié sur Peace News le 28 octobre 2024.