par Justin Massie Quel bilan annuel peut-on dresser de la politique étrangère du gouvernement Harper ? Grâce à la majorité parlementaire obtenue en mai dernier, le premier ministre bénéficie d’une immense autonomie politique – une « dictature bienveillante » selon certains – lui permettant de dévoiler et de mettre en œuvre l’essence de sa doctrine en matière
par Justin Massie
Quel bilan annuel peut-on dresser de la politique étrangère du gouvernement Harper ? Grâce à la majorité parlementaire obtenue en mai dernier, le premier ministre bénéficie d’une immense autonomie politique – une « dictature bienveillante » selon certains – lui permettant de dévoiler et de mettre en œuvre l’essence de sa doctrine en matière de politique extérieure. Mais si l’on est en droit d’en noter la profonde teneure idéologique, notamment à l’égard du Proche-Orient, il est également nécessaire d’en souligner le caractère pragmatique.
La politique étrangère est en grande partie soumise aux mêmes forces qui gouvernent la politique intérieure. En ce sens, elle peut être évaluée à la lumière du principal et primordial objectif du premier ministre fédéral : faire du Parti conservateur le parti « naturel » aux yeux d’une majorité de Canadiens, et ce, pour les décennies à venir. Son bilan, à cet égard, est largement positif.
Ainsi, le gouvernement s’est activement employé à transformer la culture politique canadienne de manière à la rendre plus « conservatrice », grâce aux symboles que représentent le patriotisme militaire, la monarchie britannique, la supériorité morale et la puissance économique du Canada. Le gouvernement conservateur a donc respectivement dépeint le Canada comme nation guerrière, en rendant hommage aux militaires ayant combattu en Libye et en pourfendant les activités de la Russie en Arctique et dans la zone d’identification aérienne de l’Amérique du Nord; comme fière héritière des traditions, des valeurs et des institutions britanniques en restaurant le statut « royal » aux forces aériennes et navales; comme État démocratique et de droit, capable de tenir tête aux dictatures oppressives et aux régimes islamistes, en particulier l’Iran; enfin, comme puissance commerciale et énergétique d’envergure mondiale, notamment par la conclusion de six accords de commerce et la négociation de dix autres à l’heure actuelle.
Ces dossiers permettent de différencier le gouvernement conservateur de ses prédécesseurs libéraux, et d’ainsi afficher la prétendue supériorité des symboles conservateurs par rapports à ceux qui composent le mythe du Canada libéral : multiculturalisme, tolérance et compromis, Charte des droits et libertés, gardien de la paix, puissance moyenne. Malgré un attachement indéniable à ces symboles libéraux, les Canadiens affichent néanmoins une prédisposition favorable au Canada conservateur dépeint par le gouvernement Harper. En effet, près de 64% des Canadiens estiment que leur pays se dirige dans la bonne direction, selon un sondage effectué en octobre dernier. Et un Canadien sur deux juge que la réputation du Canada s’est améliorée au cours de l’année 2011.
Le premier ministre Harper peut ainsi se réjouir, car son principal objectif politique est sur la bonne voie d’être atteint, grâce notamment à une politique extérieure à saveur très idéologique. Mais lorsque l’on y regarde de plus près, plusieurs des politiques mises de l’avant par le gouvernement conservateur demeurent similaires à celles de ses prédécesseurs.
Le patriotisme militaire constitue un exemple clair. La ferveur avec laquelle le premier ministre vante les prouesses militaires du Canada, de l’Afghanistan à la Libye, n’a pas d’égal. Il va jusqu’à qualifier d’anti-canadienne toute critique à l’endroit du militarisme et des militaires, de Kandahar à la guerre de 1812, en passant par l’acquisition de F-35. Force est cependant de constater que c’est le gouvernement Harper qui a mis fin, cette année, à l’engagement militaire à Kandahar, amorcé par le premier ministre Martin. Que la participation canadienne à la guerre en Libye est similaire, autant par son ampleur que par son objectif politique, à la guerre du Kosovo, avec cependant une différence de taille : contrairement à Stephen Harper, Jean Chrétien a engagé le Canada dans une guerre sans l’aval du Conseil de sécurité des Nations unies. Enfin, que les investissements militaires significatifs consentis par le gouvernement Harper servent, pour l’essentiel, à remplacer les capacités militaires actuelles du pays, sans pour autant les accroître. Même avec l’achat de F-35 et une armée revigorée par un patriotisme exacerbé, le Canada ne pourra déployer plus d’avions de combat ou de soldats qu’il ne le fait déjà dans des missions outre-mer.
Ainsi, si « révolution » idéologique il y a en matière de politique de sécurité internationale, elle demeure confinée à trois dimensions, non négligeables : la rhétorique symbolique, employée avec verve contre les régimes syrien et iranien, ce dernier ayant été qualifié de « satanique »; la défense sans nuance d’Israël, illustrée par le blocage diplomatique systématique et les votes du Canada à l’ONU; enfin, le mépris manifeste d’Ottawa envers les Nations unies, dont l’échec le plus cuisant de l’année, le siège au Conseil de sécurité, en illustre l’apogée.
Expliquant ce revers lamentable lors d’une entrevue de fin d’année, le ministre John Baird exprime bien ce dédain. Il affirme que c’est en raison de son appui aux droits des homosexuels en Afrique et à la protection des droits humains au Sri Lanka et en Iran que le Canada a été puni à l’ONU. La récolte de seulement 78 votes pour et 115 contre la candidature canadienne s’explique cependant difficilement par une telle logique. D’autant plus que son rival, le Portugal, n’a pas la réputation d’être contre les valeurs défendues par le Canada. Ainsi, si la « révolution » conservatrice semble avoir permis de redéfinir l’identité canadienne sur la scène intérieure, la rhétorique symbolique qu’elle requiert semble cependant avoir d’importants coûts diplomatiques, dont la réputation du pays à l’étranger.
Le bilan de l’année 2011 est ainsi relativement positif pour le gouvernement Harper. Il traduit une transformation en cours de la culture politique canadienne et ce, par l’entremise d’une politique étrangère à la fois idéologique et pragmatique, dont les bénéfices se trouvent davantage au plan de la politique intérieure qu’au niveau diplomatique. Ainsi, le Canada est moins « de retour » sur la scène internationale, comme le vante le gouvernement Harper, qu’il se redéfini autour de symboles conservateurs auprès des Canadiens.
Une version raccourcie de cet article est parue dans La Presse le 30 décembre 2011.