Examen de la politique étrangère : temps pour un grand coup

Examen de la politique étrangère : temps pour un grand coup

Bien que les motifs semblent flous et que les paramètres ne soient toujours pas connus du public, les fonctionnaires s’affairent à un examen de la politique étrangère dans l’édifice Lester B. Pearson à Ottawa. Le moment est bien choisi, étant donné que la majorité du gouvernement Harper au Parlement lui confère une liberté d’action appréciable.

Bien que les motifs semblent flous et que les paramètres ne soient toujours pas connus du public, les fonctionnaires s’affairent à un examen de la politique étrangère dans l’édifice Lester B. Pearson à Ottawa. Le moment est bien choisi, étant donné que la majorité du gouvernement Harper au Parlement lui confère une liberté d’action appréciable. D’autres facteurs abondent dans le même sens. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) peut compter sur la présence d’un ministre ambitieux et influent pour la première fois sous le régime Harper, et il se doit de mettre de l’ordre dans les priorités de politique étrangère de Harper, dont les objectifs stratégiques n’ont jamais été bien clairs.

Mais les vents sont contre un exercice d’importance majeure, voire même contre un exercice public. Le gouvernement n’est pas favorable à des consultations populaires et n’aurait aucun avantage à réveiller une communauté d’organismes non gouvernementaux (ONG) grandement dépourvue de ses crocs au cours des cinq dernières années. En période de contraintes budgétaires persistantes, le moment serait également mal choisi pour rehausser les attentes.

Au lieu d’un vaste processus interministériel fécond d’annonces pour les manchettes, il  est plus probable que l’on procède à une étude axée sur les ressources qui résultera en un remaniement modeste de certains des objectifs du Canada. Un document officiel, s’il en vient à être rendu public, pourrait ressembler à l’« Énoncé » de Paul Martin – prescrivant un remodelage de l’image de marque ou quelques repositionnements de mi-parcours dans un petit nombre de dossiers. Bien que peu de critiques aient mis en doute le bien-fondé d’un examen, nous avons immensément besoin de quelque chose pour expliquer aux Canadiens ce qu’un gouvernement replié sur lui-même et légèrement schizophrène souhaite réaliser à l’étranger et comment il entend s’y prendre.

Un enjeu auquel le gouvernement doit s’attaquer, maintenant ou plus tard, est le piètre état des institutions vouées à la mise en œuvre de la politique étrangère du Canada. Le MAECI est freiné dans son élan depuis au moins cinq ans par des réductions budgétaires et des examens stratégiques, incluant au moins une phase déclenchée par l’actuel ministre des Affaires étrangères alors qu’il était président du Conseil du Trésor. Les programmes ont été amputés ou supprimés, et les maigres budgets ont réduit les capacités fondamentales de ces institutions. Bien que des poches d’excellence demeurent, le ministère souffre d’une capacité en politiques émaciée et d’un manque de direction ciblée. Un processus d’approbation sans fin, une microgestion à tous les échelons et un accent menottant sur la reddition de comptes ont tôt fait de privilégier le processus au détriment de la substance. Le groupe du service extérieur du MAECI, faisant jadis la force de tout gouvernement, a été excessivement mal géré durant une décennie et frôle aujourd’hui la dysfonctionnalité. Les faiblesses du MAECI peuvent partiellement expliquer le manque de cohérence du gouvernement en matière de politique étrangère.

La solution facile consisterait à rendre public un document regorgeant de platitudes réconfortantes. L’apathie du public canadien à l’égard des questions de politique étrangère ne justifie peut-être rien de plus. Mais il y a place pour un changement constructif, sans coût financier additionnel pour le gouvernement, et avec possiblement certains avantages politiques en aval pour un ambitieux ministre des Affaires étrangères. Appelons ce changement « la grande affaire » de politique étrangère canadienne, et la promesse d’une refonte des institutions pour la prochaine décennie.

La grande affaire repose sur une réalité non-dite : même en période de contraintes, il y a assez d’argent dans l’assiette de la politique étrangère pour le MAECI, l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et quelques autres organismes — mais pas sous la configuration actuelle, alors qu’ils croulent sous des structures dirigeantes surdimensionnées et les coûts administratifs onéreux par rapport aux extrants. Ce qu’il faut, c’est une nouvelle configuration avec un accent sur le rendement là où ça compte.

Commençons par l’ACDI, où des changements fondamentaux se font attendre depuis trop longtemps. Le moment est venu d’adopter des mesures audacieuses, et la meilleure solution consiste à l’intégrer au MAECI, sous un ministre junior, en préservant son titre et son mandat fondamental, mais en simplifiant et rationalisant ses systèmes et ses responsabilités. Ses fonctions jumelles seraient la politique d’aide et le développement de programmes, mis en œuvre à travers la plate-forme du MAECI. Le personnel du service extérieur, les fonctions administratives et les directions générales géographiques de l’ACDI seraient intégrés à leurs pendants chez le MAECI. Un changement structurel ouvrirait ensuite la voie à un examen de la politique d’aide, pour déterminer ce que le gouvernement souhaite réaliser à l’étranger par l’intermédiaire des canaux d’Aide publique au développement (APD) et autre canaux dans le cadre d’un budget d’aide au développement cohérent.

Le MAECI est un dossier beaucoup plus complexe. Il doit commencer par une approche radicale face à sa structure administrative désuète, tout en s’affranchissant des dispositions archaïques du Conseil du Trésor. Des économies appréciables pourraient être réalisées grâce à une simplification des procédures administratives et à l’application de différents modèles d’affaire en matière d’exécution des programmes. Si l’opportunité lui en était donnée — et je dis bien « si » — il pourrait guider les efforts du gouvernement pour sortir les institutions gouvernementales canadiennes du siècle dernier.

Le changement devrait principalement porter sur le mandat fondamental du MAECI : les opérations à l’étranger et les conseils sur la politique étrangère aux quartiers généraux. Si d’avoir des professionnels dûment formés et chevronnés qui formulent des recommandations sur la politique étrangère et font valoir les intérêts canadiens n’est pas l’essence même du rôle du MAECI, qu’est-elle donc? Les résultats au fil du temps devraient être une exécution plus pointue des programmes à l’étranger, un poids plus lourd du Canada dans la balance de la gestion des évènements mondiaux et de meilleures capacités de faire face aux crises et de relever les défis du changement à l’échelle de la planète.

Le gouvernement peut ou non souhaiter que le MAECI réussisse; les avis sont partagés sur cette question centrale. Mais son ministre devrait le souhaiter. Et si l’on présume pareil souhait, le MAECI doit combler ses écueils des dernières années et faire plus encore. Le service extérieur doit être tourné vers l’extérieur et plus avenant, avec plus de contacts avec les Canadiens, plus d’échanges avec les autres ministères, plus de détachements auprès des agences centrales et plus de personnes déployées dans les organisations et les regroupements internationaux. Ce doit être le lien constant entre le Canada et la communauté internationale. Mais rien de tout cela ne fonctionnera sans la force de travail. Ces gens doivent être appuyés par des pratiques de ressources humaines améliorées et simplifiées, plus de formation linguistique et autre, ainsi que plus de leste dans les structures administratives. Toutes ces mesures peuvent et doivent être entreprises sans imposer de fardeau supplémentaire aux contribuables canadiens.

S’attarder à ces questions institutionnelles n’équivaut pas nécessairement à un examen de la politique étrangère. À l’extérieur d’Ottawa, il n’y a possiblement que peu d’intérêt pour ce genre de marchandage. Mais si le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères espèrent des options sérieuses de politique étrangère et si nous souhaitons conserver notre place autour de la table, faire sentir notre présence et faire valoir les intérêts nationaux, nous avons besoin de fondements institutionnels solides. En ce moment, nos institutions craquent sous le poids d’attentes auxquelles nous ne pouvons pas répondre. Un gouvernement majoritaire peut prendre certaines des décisions difficiles, mais nécessaires pour inverser la tendance.

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Bien que les motifs semblent flous et que les paramètres ne soient toujours pas connus du public, les fonctionnaires s’affairent à un examen de la politique étrangère dans l’édifice Lester B. Pearson à Ottawa. Le moment est bien choisi, étant donné que la majorité du gouvernement Harper au Parlement lui confère une liberté d’action appréciable.

Bien que les motifs semblent flous et que les paramètres ne soient toujours pas connus du public, les fonctionnaires s’affairent à un examen de la politique étrangère dans l’édifice Lester B. Pearson à Ottawa. Le moment est bien choisi, étant donné que la majorité du gouvernement Harper au Parlement lui confère une liberté d’action appréciable. D’autres facteurs abondent dans le même sens. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) peut compter sur la présence d’un ministre ambitieux et influent pour la première fois sous le régime Harper, et il se doit de mettre de l’ordre dans les priorités de politique étrangère de Harper, dont les objectifs stratégiques n’ont jamais été bien clairs.

Mais les vents sont contre un exercice d’importance majeure, voire même contre un exercice public. Le gouvernement n’est pas favorable à des consultations populaires et n’aurait aucun avantage à réveiller une communauté d’organismes non gouvernementaux (ONG) grandement dépourvue de ses crocs au cours des cinq dernières années. En période de contraintes budgétaires persistantes, le moment serait également mal choisi pour rehausser les attentes.

Au lieu d’un vaste processus interministériel fécond d’annonces pour les manchettes, il  est plus probable que l’on procède à une étude axée sur les ressources qui résultera en un remaniement modeste de certains des objectifs du Canada. Un document officiel, s’il en vient à être rendu public, pourrait ressembler à l’« Énoncé » de Paul Martin – prescrivant un remodelage de l’image de marque ou quelques repositionnements de mi-parcours dans un petit nombre de dossiers. Bien que peu de critiques aient mis en doute le bien-fondé d’un examen, nous avons immensément besoin de quelque chose pour expliquer aux Canadiens ce qu’un gouvernement replié sur lui-même et légèrement schizophrène souhaite réaliser à l’étranger et comment il entend s’y prendre.

Un enjeu auquel le gouvernement doit s’attaquer, maintenant ou plus tard, est le piètre état des institutions vouées à la mise en œuvre de la politique étrangère du Canada. Le MAECI est freiné dans son élan depuis au moins cinq ans par des réductions budgétaires et des examens stratégiques, incluant au moins une phase déclenchée par l’actuel ministre des Affaires étrangères alors qu’il était président du Conseil du Trésor. Les programmes ont été amputés ou supprimés, et les maigres budgets ont réduit les capacités fondamentales de ces institutions. Bien que des poches d’excellence demeurent, le ministère souffre d’une capacité en politiques émaciée et d’un manque de direction ciblée. Un processus d’approbation sans fin, une microgestion à tous les échelons et un accent menottant sur la reddition de comptes ont tôt fait de privilégier le processus au détriment de la substance. Le groupe du service extérieur du MAECI, faisant jadis la force de tout gouvernement, a été excessivement mal géré durant une décennie et frôle aujourd’hui la dysfonctionnalité. Les faiblesses du MAECI peuvent partiellement expliquer le manque de cohérence du gouvernement en matière de politique étrangère.

La solution facile consisterait à rendre public un document regorgeant de platitudes réconfortantes. L’apathie du public canadien à l’égard des questions de politique étrangère ne justifie peut-être rien de plus. Mais il y a place pour un changement constructif, sans coût financier additionnel pour le gouvernement, et avec possiblement certains avantages politiques en aval pour un ambitieux ministre des Affaires étrangères. Appelons ce changement « la grande affaire » de politique étrangère canadienne, et la promesse d’une refonte des institutions pour la prochaine décennie.

La grande affaire repose sur une réalité non-dite : même en période de contraintes, il y a assez d’argent dans l’assiette de la politique étrangère pour le MAECI, l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et quelques autres organismes — mais pas sous la configuration actuelle, alors qu’ils croulent sous des structures dirigeantes surdimensionnées et les coûts administratifs onéreux par rapport aux extrants. Ce qu’il faut, c’est une nouvelle configuration avec un accent sur le rendement là où ça compte.

Commençons par l’ACDI, où des changements fondamentaux se font attendre depuis trop longtemps. Le moment est venu d’adopter des mesures audacieuses, et la meilleure solution consiste à l’intégrer au MAECI, sous un ministre junior, en préservant son titre et son mandat fondamental, mais en simplifiant et rationalisant ses systèmes et ses responsabilités. Ses fonctions jumelles seraient la politique d’aide et le développement de programmes, mis en œuvre à travers la plate-forme du MAECI. Le personnel du service extérieur, les fonctions administratives et les directions générales géographiques de l’ACDI seraient intégrés à leurs pendants chez le MAECI. Un changement structurel ouvrirait ensuite la voie à un examen de la politique d’aide, pour déterminer ce que le gouvernement souhaite réaliser à l’étranger par l’intermédiaire des canaux d’Aide publique au développement (APD) et autre canaux dans le cadre d’un budget d’aide au développement cohérent.

Le MAECI est un dossier beaucoup plus complexe. Il doit commencer par une approche radicale face à sa structure administrative désuète, tout en s’affranchissant des dispositions archaïques du Conseil du Trésor. Des économies appréciables pourraient être réalisées grâce à une simplification des procédures administratives et à l’application de différents modèles d’affaire en matière d’exécution des programmes. Si l’opportunité lui en était donnée — et je dis bien « si » — il pourrait guider les efforts du gouvernement pour sortir les institutions gouvernementales canadiennes du siècle dernier.

Le changement devrait principalement porter sur le mandat fondamental du MAECI : les opérations à l’étranger et les conseils sur la politique étrangère aux quartiers généraux. Si d’avoir des professionnels dûment formés et chevronnés qui formulent des recommandations sur la politique étrangère et font valoir les intérêts canadiens n’est pas l’essence même du rôle du MAECI, qu’est-elle donc? Les résultats au fil du temps devraient être une exécution plus pointue des programmes à l’étranger, un poids plus lourd du Canada dans la balance de la gestion des évènements mondiaux et de meilleures capacités de faire face aux crises et de relever les défis du changement à l’échelle de la planète.

Le gouvernement peut ou non souhaiter que le MAECI réussisse; les avis sont partagés sur cette question centrale. Mais son ministre devrait le souhaiter. Et si l’on présume pareil souhait, le MAECI doit combler ses écueils des dernières années et faire plus encore. Le service extérieur doit être tourné vers l’extérieur et plus avenant, avec plus de contacts avec les Canadiens, plus d’échanges avec les autres ministères, plus de détachements auprès des agences centrales et plus de personnes déployées dans les organisations et les regroupements internationaux. Ce doit être le lien constant entre le Canada et la communauté internationale. Mais rien de tout cela ne fonctionnera sans la force de travail. Ces gens doivent être appuyés par des pratiques de ressources humaines améliorées et simplifiées, plus de formation linguistique et autre, ainsi que plus de leste dans les structures administratives. Toutes ces mesures peuvent et doivent être entreprises sans imposer de fardeau supplémentaire aux contribuables canadiens.

S’attarder à ces questions institutionnelles n’équivaut pas nécessairement à un examen de la politique étrangère. À l’extérieur d’Ottawa, il n’y a possiblement que peu d’intérêt pour ce genre de marchandage. Mais si le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères espèrent des options sérieuses de politique étrangère et si nous souhaitons conserver notre place autour de la table, faire sentir notre présence et faire valoir les intérêts nationaux, nous avons besoin de fondements institutionnels solides. En ce moment, nos institutions craquent sous le poids d’attentes auxquelles nous ne pouvons pas répondre. Un gouvernement majoritaire peut prendre certaines des décisions difficiles, mais nécessaires pour inverser la tendance.

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